L’information est une constante de l’Histoire, seules ses formes et ses supports ont évolué. Qui colporte l’information ? À qui cela profite ? Enquête sur une des armes les plus dangereuses de l’Histoire.
L’oralité : l’information insaisissable
Durant la plus grande partie de l’Histoire, le support principal de l’information a été la parole. Ce qui, de manière concrète, se traduisait généralement par des phénomènes dits de « rumeur », de « murmure », conduisant parfois à des mouvements de panique des populations si les mauvaises étaient nouvelles. Pour l’historien, l’étude de ce support de l’information soulève évidemment un problème. Le vieil adage “les paroles s’envolent et les écrits restent” prend tout son sens : seules restent les sources écrites et émises par des autorités qui font état de ces rumeurs, de ces bruits qui circulent. Car bien qu’étant d’origine très populaires, ces informations sont écoutées et analysées par les élites qui tentent, par ce canal, de percevoir l’opinion publique.
Les différents pouvoirs tentent déjà de contrôler l’information, mais la tâche s’avère extrêmement compliquée car l’origine du message oral est très souvent anonyme et, « informel, [il] circule librement dans l’espace public. » (Séverine Fargette, « Rumeurs, propagande et opinion publique au temps de la guerre civile (1407-1420) », Le Moyen Âge, 2007/2, p. 313). Cette liberté totale de l’information engendre exagérations, déformations et approximations de la réalité conduisant à des scènes de troubles qui déstabilisent les pouvoirs politiques, économiques et religieux. Si toutes les époques abondent d’exemples qui corroborent cette dernière affirmation, c’est l’historien Georges Lefebvre qui en a peut-être délivré la meilleure analyse dans son livre La Grande Peur de 1789 (1932). Il démontre notamment que cette peur panique qui a saisi la France à l’été 1789 du fait des rumeurs et des murmures a été, entre autres, la cause de l’effondrement définitif du régime seigneurial qui prévalait dans notre pays depuis quasiment dix siècles. La méfiance des autorités envers ce vecteur d’information était justifiée.
L’écrit : l’information rationalisée
Avec le développement de l’imprimerie, l’écrit se substitue à la parole comme vecteur d’information. Aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, il s’agit essentiellement de tracts, de libelles, ce que les historiens rassemblent sous le terme de « feuilles », mais moins de journaux à proprement parler, même si le siècle des Lumières en voit une multiplication. C’est surtout le XIXᵉ, avec l’avènement des pensées et des sociétés démocratiques, qui voit le grand essor de la presse écrite. Mais le trait caractéristique de cette presse de la fin du XIXᵉ et du début du XXᵉ est la délivrance, pour la première fois au monde, d’une information de masse. Dès 1888, Le Petit Journal dépasse la barre du million d’exemplaires vendus. Et en l’espace de 20 ans, c’est-à-dire à la veille de la Première Guerre mondiale, trois quotidiens, Le Petit Parisien, Le Matin et Le Journal dépassent régulièrement le million (Christian Delporte, Claire Blandin, et François Robinet, Histoire de la presse en France. XXe-XXIe siècles, Armand Colin, 2016, p. 10). Cette massification de la presse change le comportement des sociétés en instaurant un quasi « rituel » (Id. p. 11) de l’information quotidienne.
Cette presse journalière et assez populaire s’intéresse évidemment avant tout aux faits divers et notamment à tout ce qui a trait aux affaires policières et criminelles. Et cet attrait ne touche pas que la presse populaire, puisque de grands journaux tels que Le Figaro, pourtant « l’organe de toutes les élites », se livrent à cette mode et consacrent également quelques colonnes de leurs numéros à ce genre d’affaires. C’est notamment Dominique Kalifa qui a tenté d’expliquer les mutations quantitatives et qualitatives de ce mouvement à la Belle Époque dans un livre intitulé L’encre et le sang. Récits de crime à la Belle Époque (1995). Véritable genre littéraire à lui tout seul, le fait divers s’impose durablement dans la presse en mettant, l’espace d’une époque, le crime et l’enquête au cœur de l’information. Parallèlement à ce goût du fait divers, se développe le goût des scandales qui font exploser de manière très ponctuelle les chiffres des tirages. Deux journaux se sont ainsi à jamais rendus célèbres grâce à cela : L’Aurore en 1898 avec l’affaire Dreyfus et L’Action française en 1934 avec l’affaire Stavisky. Les germes de la presse à scandale étaient en place.
Radio et télévision : « Le poids des mots, le choc des photos »
Depuis la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’information a pris encore un autre tournant à cause de la généralisation de la photographie, de la radio et de la télévision. Ce qui ne change pas, c’est la volonté des autorités de contrôler l’information. En France, cette politique est symbolisée par la création en 1949 de la Radiodiffusion-télévision Française (RTF) puis, en 1964 de l’Office de Radiodiffusion-télévision Française (ORTF) qui exercent un monopole d’État sur la radio et la télévision. Conscient de la puissance de relais qu’exercent ces nouveaux médias, le gouvernement français, et notamment Charles De Gaulle, tente de les inféoder pour qu’ils transmettent aux Français une information contrôlée et vérifiée. Cette tentative trouve ses limites en mai 1968. La facilité d’installation des réseaux radiophoniques pirates permet aux contestataires de l’ordre gaullien de faire entendre une voix dissidente en France. Ainsi, en 68 la radio « incarne une information « libre ». La télévision, vacante et bâillonnée, est – en négatif – l’envers de cette médaille. » (Marie-Françoise Lévy et Michelle Zancarini-Fournel, « La légende de l’écran noir : l’information à la télévision en mai-juin 1968 », Réseaux. Communication – Technologie – Société, 90, 1998, p. 197) Si le Général avait réussi, dans les premières années de sa présidence, à imposer une information officielle à la télévision, se mettant en scène dans des grandes conférences de presse, voire en uniforme lors du putsch des généraux ; mai 68 fait voler en éclat cette mainmise. Entre le 17 mai et le 23 juin, les salariés de l’ORTF se mettent en grève, révélant ainsi le malaise qui existe. Un an plus tard, De Gaulle démissionne.
Quelques années plus tard, Valéry Giscard d’Estaing se montre sensible à ce besoin d’une information télévisée libre et décide donc de dissoudre l’ORTF en 1975. Ceci, combiné à la révolution technologique de l’audiovisuel des années 80-90, permet une nouvelle explosion des flux d’information par le canal de la télévision. Les journalistes sont obligés de modifier leur méthode de travail, « avec une sélection et une production d’informations [qui] se font de plus en plus dans l’urgence. » ( Christian Delporte, Claire Blandin, et François Robinet, Histoire de la presse en France. XXe-XXIe siècles, p. 303).
Aujourd’hui l’avènement des réseaux sociaux amorce la cinquième mutation de l’information : les presses indépendantes ou gouvernementales n’ont plus de voix au chapitre. Une information populaire et incontrôlée est en train de prendre le pas. Théories sulfureuses, complotisme, trucages et mensonges fleurissent. L’ère des rumeurs et des murmures revient en force.