La Côte d’Azur m’est apparue dans l’éclat de ses contrastes. Le paysage s’y étale sous le soleil, à la fois rayonnant et accablé ; les villes et les villages se déploient, avec leur charme pittoresque et leur foule oppressante de visiteurs.
Le panorama qui défilait par la fenêtre du TGV déjà l’annonçait : à mesure que le train progressait sur la ligne Paris-Nice, le relief ondulait pour former ces collines escarpées sur lesquelles les villages grimpent et se maintiennent accrochés. Au fond du paysage, les Alpes dessinaient leur muraille énigmatique et devant elles, dans la plaine, des cyprès épars lançaient çà et là leurs cimes annonciatrices du Midi. Ces heureux présages du Sud-Est ont tenu la plupart de leurs promesses.
Ce qui caractérise avant tout cette région aux environs de Nice et de Cannes, c’est bien la proximité féconde qu’entretiennent les montagnes et le rivage. A ce titre, la région « Provence-Alpes-Côte d’Azur » m’a paru porter un nom fort justifié, tant elle est un délicat mélange de ces trois réalités. Le nom de « Préalpes d’Azur » également s’y réalise parfaitement en rendant compte de cette cohabitation du massif des Alpes avec la Méditerranée. Ce voisinage produit des paysages tout à fait singuliers et d’un caractère très heureusement contrasté. Au Cap-d’Ail, près de Monaco, la plage s’ouvre ainsi dans un amphithéâtre formé par une falaise qui se pare d’un rose délicat au crépuscule. A Saint-Raphaël, du côté de Fréjus, les rochers de la montagne arborent une couleur particulière, faite d’un ocre voluptueux qui plonge dans la mer et en épouse à merveille le turquoise transparent. L’eau de la mer est délicatement tiède et accueillante, étincelant doucement sous le soleil oblique des fins de journée, moment que nous privilégiions pour nous baigner.
Si le Sud s’est dévoilé en affichant le charme de son pittoresque, il m’a toutefois laissé un sentiment étrange : j’ai cherché longtemps ce quelque chose que je ne trouvais pas, ce quelque chose plus profond, plus intime, en un mot : plus authentique. En fait, la Côte d’Azur m’a paru ce coquillage merveilleux, cette relique des vacances qu’on rapporte et qu’on pose sur son bureau à la rentrée. Un vrai coquillage donc, mais un coquillage vide. J’en veux pour preuve la visite que j’ai faite de la ville d’Èze : c’est un formidable nid d’aigle en haut d’une falaise, dominant la baie de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Les ruelles étroites pavées de ciment beige et de galets sont encombrées par les branches de bougainvilliers charmants ; le cactus se marie à la pierre claire et chaude des maisons anciennes. J’ai été d’abord charmée par la poésie de ce dédale de vieilles pierres, puis séduite par les vestiges du passé médiéval qu’on y croise à chaque coin de rue : la poterne, les remparts, la porte des Maures et la fontaine sur la petite place. Cependant, très vite, j’ai été stupéfaite de découvrir, en risquant un regard inquisiteur par les fenêtres de ces habitations, l’aménagement luxueux d’hôtels multi-étoilés installés dans ces petites maisonnettes, à l’arrière desquelles on devine des jardins abondants. Puis je me suis indignée de ce que la terrasse du village qui réserve la meilleure vue sur la baie soit à accès payant. Tout ceci me paraissait donner à Èze l’aspect d’un village-fossile, merveilleux derrière sa vitre de cristal, mais absolument inaccessible, et dans un état végétatif. C’est en tout cas le sentiment ambigu que j’ai gardé en quittant ce village splendide, comme je méditais à l’endroit du tourisme de masse des idées noires et certes paradoxales, puisque j’avais bien conscience que je contribuais par ma présence à cela-même que je déplorais…
Je crois que c’est ça, ce que je cherchais et que je ne trouvais pas dans ces villes touristiques : l’authenticité. J’ai réalisé que j’avais bien plus entendu parler italien, anglais, allemand, que provençal ; que j’étais passée devant bien plus d’échoppes à souvenirs que de boutiques artisanales véritables. A Nice, les palaces de la baie des Anges contrastaient avec la vétusté de certaines rues du centre. A Monaco, le vrombissement des Ferrari couvrait le cri des mouettes. Dans le port, les innombrables yachts vides arboraient leur luxe indécent. Devant le palais princier, sur le rocher de Monte Carlo noir de monde, la relève des gardes faisait l’attraction. Monaco en fait est apparu à l’image de la monarchie qui y siège : éclatant d’apparat, mais assez vide, lui aussi, et assez froid.
L’authenticité, en fin de compte, je l’ai trouvée dans les églises méridionales : qu’ils soient romans, baroques ou néo-gothiques, ces édifices étaient toujours le réceptacle à la fois de la dévotion et de l’art populaire ; ces églises étaient l’hospice et l’asile de l’âme du Sud. La cathédrale Notre-Dame-du-Puy de Grasse m’a séduite tout particulièrement : elle est un peu difforme, façonnée au gré des aménagements successifs, mais sa nef romane ne jure en aucun cas avec la merveilleuse chapelle baroque sur le côté, dédiée au Saint-Sacrement. Et, comme souvent, cette petite cathédrale obscure abrite des chefs-d’œuvre de la peinture, dont trois Rubens et un Fragonard. Il faut donc pousser les portes des églises. Mais la vérité du Sud se trouve aussi dehors, dans la nature qui ne déçoit pas : dans la nudité rose des falaises, dans le crissement exaspérant et délicieux des cigales, dans les branches de pins d’Alep sur le ciel toujours bleu, dans la douceur soyeuse de la Méditerranée.
Enfin, j’ai passé un magnifique séjour, bien sûr ! D’ailleurs, mes élucubrations métaphysiques et convenues sur la perte de sens de l’Occident latin étaient déjà bien loin quand, en rentrant à Paris, la porte de mon TGV s’est ouverte : dans la ligne 1, j’ai quand même préféré la foule bigarrée des rues d’Èze à celle, plus morose, de mon sinistre métro.