Lire pour en Sortir est une association qui propose aux personnes détenues des actions de réinsertion par la lecture, en France métropolitaine et dans les DOM-TOM. Anne Sabater, ancienne avocate et maintenant coordinatrice pour l’association de l’équipe locale de Draguignan, accorde une interview au journal La Fugue pour nous parler de leur action culturelle à l’intérieur des prisons.
L’action culturelle de Lire pour en Sortir s’organise autour de 5 missions : un programme personnalisé de lecture, l’organisation et l’animation d’actions culturelles autour du livre, un soutien à la sortie de l’illettrisme, le développement de l’offre de lecture des bibliothèques pénitentiaires et un soutien à la réinsertion par la formation aux métiers du livre.
La Fugue – Quel est le rôle de l’association Lire pour en Sortir ?
Anne Sabater – Notre association travaille d’abord en lien étroit avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui est un service qui suit les détenus en détention comme en aménagement de peine. Nous organisons grâce à eux et aux directions des établissements pénitentiaires nos rencontres avec les détenus qui s’y inscrivent de manière volontaire. Nous les recevons dans les parloirs où nous leur expliquons nos activités, notamment le programme personnalisé de lecture. Nous travaillons ensuite en lien avec le pôle enseignement des prisons, et nous aidons les détenus les plus jeunes dans leurs études. J’ai vu passer comme ça toutes sortes de gens, et notamment un Libanais que nous avons beaucoup accompagné, qui a passé son bac en prison et a obtenu la mention Bien ! Par ailleurs, dans cet établissement, il y a au moins 20 ou 30 activités culturelles possibles, nous ne sommes donc pas isolés dans notre travail.
Quelles sont les activités que vous proposez aux détenus, plus concrètement ?
Plus concrètement, nous leur offrons les livres que nous achetons neufs auprès de librairies indépendantes locales. Les livres leur appartiennent définitivement. Nous sommes pour cela soutenus par des mécènes privés et les pouvoirs publics. L’année dernière nous avons offert 600 livres dans le cadre du programme personnalisé de lecture aux personnes détenues à Draguignan. Nous organisons également d’autres types d’activités comme des événements culturels collectifs : des rencontres avec des auteurs, ou un concours annuel d’écriture dont les textes primés sont d’ailleurs remarquables ! Les activités de notre association se déploient ainsi grâce à une équipe de 6 salariés et à plus de 250 bénévoles au sein de 30 établissements pénitentiaires à ce jour.
Comment vous adaptez-vous à la diversité des détenus que vous rencontrez ?
C’est en effet intéressant de voir la variété des gens que nous aidons : il y a certaines personnes d’un côté qui sont très peu cultivées, qui ont peu lu et qui ont quelquefois aussi des difficultés d’écriture, et de l’autre, certaines avec lesquelles nous avons des discussions plus poussées sur les lectures qu’elles peuvent faire. En tout cas, quand on parvient à trouver, dans le catalogue de lecture spécifiquement constitué par notre association, le livre adapté à un détenu assez peu instruit et qu’il revient en s’exclamant “Comme c’est bien d’avoir lu !”, on se dit qu’on sert à quelque chose.
Quel est le pouvoir de la lecture dans une prison ?
Si on s’arrête à la punition, la société ne peut pas fonctionner. Il faut davantage prendre en compte l’intérêt prochain des détenus pour la société : c’est le but de la réinsertion. La lecture telle que nous la favorisons est une toute petite graine : celle qui peut donner aux détenus la capacité de réfléchir pour faciliter ensuite leur réinsertion. C’est un enjeu de liberté, car, au fond, lire donne surtout la possibilité de se faire soi-même une opinion sur les choses. C’est en ce sens que “l’insertion par la lecture” est au cœur de notre œuvre. Encore une fois, le niveau des détenus est inégal. Mais nous essayons de nous adapter ; nous nous associons aussi à d’autres propositions culturelles notamment celles du Centre national du Livre. Grâce à ce partenariat, les détenus ont participé à un événement littéraire sur le thème de l’amour. Ils avaient le choix entre l’écriture et la lecture. Certains ont lu un extrait de Cyrano et on a vu ainsi 50 ou 60 détenus les écouter lire ! On découvre d’ailleurs que certains ont été des artistes, notamment ce détenu qui a reçu le César du meilleur espoir en 2019 (Ndrl : Dylan Robert). Je me souviens de cette citation de Sénèque : “L’important n’est pas ce qu’on supporte, mais la façon de le supporter”.
En 2020, 23% de la population carcérale était étrangère, comment parvenez-vous à vous adapter à cela ? Votre travail est-il aussi un travail d’intégration ?
Oui, indirectement. On fournit à ceux qui ont le plus de difficultés des livres adaptés, comme L’homme qui plantait des arbres de Giono par exemple ; c’est un livre qui fait quinze pages mais qui offre un message universel. Nous proposons aussi des dictionnaires bilingues qui favorisent la lecture en langue française. Nous essayons d’instaurer un lien de confiance entre les détenues et nous, car c’est nécessaire à notre travail. Il m’est arrivé cependant d’assister, impuissante, à la radicalisation d’un jeune homme qui n’avait aucune structure personnelle et avec lequel on n’arrivait plus à conserver un contact régulier. La culture est un antidote à cela, mais lorsque les détenus n’ont pas de structure personnelle, c’est vrai que c’est très dur.
Houellebecq pourrait être le parrain de votre association lorsqu’il écrit : “La littérature ne contribue nullement à l’augmentation des connaissances, pas davantage au progrès moral humain ; mais elle contribue de manière significative au bien-être humain, et cela d’une manière à laquelle ne peut prétendre aucun autre art.” Partagez-vous cette conception de la littérature ?
Personnellement, j’aime beaucoup Houellebecq et je souscris parfaitement à cela en ce qui concerne notre activité associative. Nous ne sommes pas là simplement pour leur donner des livres, mais aussi pour leur dire qu’ils sont légitimes à cela. Si on ne va pas, en quelque sorte, chercher à la source en lisant, on se laisse envahir par d’autres choses.
L’existence même de votre œuvre prouve-t-elle que la prison peut être le lieu d’une rédemption intellectuelle, spirituelle en un sens, et sociale, à rebours d’une idéologie foucaldienne ?
Je crois qu’il faudrait que tous les citoyens aillent un jour visiter une prison. Il est impératif de faire en sorte que les détenus soient mieux équipés intellectuellement en sortant qu’ils ne l’étaient en entrant. Nous essayons de participer à cela en leur permettant de lire, mais aussi en leur proposant des concours d’éloquence pour qu’ils apprennent à s’exprimer d’une meilleure manière, ce qui les aidera à leur sortie.
Quelle est la puissance du livre ?
Il existe une puissance du livre, et ce que vous faites par votre journal l’illustre ! Le livre en lui-même, en tant qu’objet, a une puissance. J’ai suivi en prison un jeune tourneur-fraiseur, et je lui ai permis de lire 62 livres ! Au départ je lui donnais des BD et à la fin il lisait Notre-Dame de Paris, Le hussard sur le toit… Ils finissent par se familiariser avec la culture.
Avez-vous obtenu des remises de peine pour les détenus grâce à la participation à des activités culturelles, quels ont été vos arguments pour interférer ainsi sur l’exécution des peines ?
Oui, il y a un article du code de procédure pénale qu’a contribué à faire voter en 2014 Alexandre Duval Stalla, avocat et fondateur de Lire pour en Sortir, qui prévoit qu’une preuve des efforts fait par le détenu pour sa réinsertion, dont la lecture – c’est écrit expressément – peut servir dans son dossier pénal. Concrètement, dès que les personnes détenues participent au programme personnalisé de lecture, nous leur donnons une fiche de lecture vierge, une sorte de questionnaire ; une fois que ces fiches remplies prouvent qu’ils ont lu (on sait très vite si c’est le détenu qui a écrit sa fiche de lecture, et c’est presque toujours le cas), l’association rédige une attestation individuelle de participation qui ira dans le dossier du juge de l’application des peines. La lecture peut donc jouer dans l’appréciation du juge pour envisager un aménagement de peine. Nous considérons qu’elle est plus importante que beaucoup d’autres activités !
Au cours de discussions avec les détenus, sentez-vous que les prisons physiques dans lesquelles ils se trouvent sont des prisons intellectuelles ?
Ce qui est sûr, c’est que la lecture est pour eux une l’évasion. Ils sont d’ailleurs fascinés par des livres écrits par des auteurs qui ont été en prison, je pense à L’Âme du papillon de Mohamed Ali. Il y a eu des écrivains détenus, mais il y a aussi des détenus écrivains !
Propos recueillis par Emmanuel Hanappier et Alban Smith