Depuis le 22 août 1944, quatrième jour de son incarcération, jusqu’au 7 février 1945, jour de son exécution à mort pour collaboration avec l’ennemi, Robert Brasillach composa de touchants poèmes au fond de sa cellule. Dédiés à Maître Jacques Isorni, ces vers assurent au condamné, au-delà de la mémoire littéraire, la survivance d’un legs spirituel.
De Brasillach à Fresnes, c’est son avocat, Jacques Isorni, qui en parle le mieux : “Au début de sa détention, comme Brasillach ne possédait pas de porte-plume, il avait mis une plume dans le tuyau de sa pipe et c’est ainsi qu’il écrivait […] de sa petite écriture en pattes de mouche sur les feuilles quadrillées d’un carnet d’écolier.” Et, plus loin : “Il m’a remis, un jour, un gage d’amitié qui, pour moi, n’a pas de prix. Il avait fabriqué pour m’en faire cadeau un petit livre, comme lorsqu’on a douze ans, contenant les premiers poèmes écrits à Fresnes…” (in Le procès de Robert Brasillach, 1946).
La fraternité des prisonniers
Le poème liminaire du recueil, après l’épître dédicatoire à Isorni, est un « Chant pour André Chénier (1794-1944) ». Brasillach place son recueil dans la lignée d’un autre condamné à mort, comme lui journaliste engagé et poète, emprisonné puis guillotiné en 1794. Il souligne dès le titre, comme plus loin dans le poème, la répétition de l’Histoire : “Un siècle et demi a passé. | La saison est encore moins sûre, | Voici le temps d’André Chénier.” Outre le rapprochement des dates, c’est bien plus la communauté de destin, le même sort malheureux partagé qui lie le prisonnier de la Terreur au prisonnier de l’Épuration. “Ô mon frère au col dégrafé” : ainsi apparaît à la fin du poème le mot frère qui revient si régulièrement dans les Poèmes de Fresnes. Cette forte fraternité avec tous les autres prisonniers du monde et de l’histoire constitue un motif récurrent tout au long des vers de Brasillach, et en particulier dans le poème intitulé Les noms sur les murs : “C’est à vous, frères inconnus, | Que je pense, le soir venu, | Ô mes fraternels adversaires !” Étonnante union des hommes, union contradictoire soulignée par l’oxymore du troisième vers, mais union profonde “par l’espoir et par la misère”. Cette communauté universelle des condamnés est encore paradoxale en ce qu’elle se lie dans le départ qui d’ordinaire sépare les hommes mais qui, en prison, scelle un destin commun : “Nous l’avons vu, comme déjà tant d’autres | Hors de ces murs et vers les jugements, | Qu’ils soient ou non comptés parmi les nôtres, | S’en sont allés, si fraternellement.” Ainsi se répètent inlassablement dans les vers de Brasillach les multiples dérivés du nom frère, cette idée englobant “tous les captifs du monde” et constituant pour le poète prisonnier un soutien salutaire. Maître Isorni d’ailleurs souligne bien, dans son livre Le procès de Robert Brasillach, l’importance essentielle qu’a prise l’amitié dans la pensée du poète pendant toute la durée de son incarcération.
Le poids des souvenirs
Le poème La jeune captive, composé par André Chénier dans la prison Saint-Lazare, convoque la figure classique de la jeune fille pour incarner le regret de la vie au seuil de la mort, dans la tradition antique d’Antigone ou d’Iphigénie. Le motif romantique de la jeune captive possède une double efficacité littéraire : il incarne en effet non seulement la douceur de la vie et le charme de l’amour, mais aussi l’espoir et l’élan de la jeunesse : “L’illusion féconde habite dans mon sein. | D’une prison sur moi les murs pèsent en vain. | J’ai les ailes de l’espérance« . Chez Brasillach, l’espérance prend également figure humaine. Cette figure est celle, plus jeune encore, de “la petite fille aux yeux de matin” qui trouve, elle, son espérance dans sa prière : “L’enfant Espérance a joint les deux mains” (“Lazare”). La naïveté et l’innocence enfantines sont une caractéristique prégnante des Poèmes de Fresnes. Quand, chez André Chénier, le regret de la vie dans son insouciance et sa douceur s’incarne par l’évocation des “épis” de blé et du “pampre”, sont convoqués encore plus simplement chez Brasillach les éléments naturels que sont l’eau et le feu : “Pardonnez-nous Seigneur, de ne pas oser croire | Que le bonheur pour nous ait une autre couleur | Que la joie de la source où nos bouches vont boire | Et du feu où nos mains recueillent la chaleur” (Psaume II). Les deux éléments (eau et feu), nécessité primaire des hommes et source d’un plein bonheur, sont évoqués avec la mention de leur couleur qui accentue encore la dimension sensitive, et donc poétique, du texte, et participent de sa force rhétorique. La poésie du style de Brasillach à la fois dépouillé et lyrique rend son élégie moins romantique que celle de Chénier, mais plus présente peut-être, plus immédiate.
Des barreaux qui ne cachent pas le ciel
Il est toutefois un autre point fondamental qui distingue le poète de Fresnes du poète de Saint-Lazare. En effet, la dimension surnaturelle des textes de Brasillach étreint le lecteur avec une force particulière et donne à sentir l’atmosphère mentale et spirituelle du prisonnier derrière ses barreaux qui “ne cachent pas le ciel”. Le Brasillach journaliste inculpé pour ses écrits dans Je suis partout, hebdomadaire antisémite, a disparu derrière le poète qui tourne son regard vers Dieu, son seul vrai juge et sa seule source de rédemption. Ses élégies prennent la forme de prières, comme l’indique le titre “Psaume” que prennent plusieurs de ses textes, les adresses directes au Seigneur et les nombreuses références bibliques. Enfin, la hauteur des textes de Brasillach s’établit aussi dans la fusion qu’il fait de son malheur personnel dans le sort collectif d’un pays en pleine guerre civile : “Seigneur, voici couler le sang de nos garçons, | Il a tout recouvert la patrie déchirée”. S’élever, à partir de son destin individuel, à la transcendance du destin collectif, c’est peut-être là la mission éternelle du poète.
Poèmes de vie à la veille de la mort, prières d’amour fortes d’espérance, poésies tranquilles et humbles, les textes de Fresnes se lisent enfin comme un testament qui rédime tout, au-delà des guerres, des blessures et des accusations. Si bien qu’il faut peut-être conclure, contre Fouquier-Tinville qui condamnait Chénier, que la République a encore besoin des poètes.