Éric Lagadec est astrophysicien au laboratoire Lagrange de l’Observatoire de la Côte d’Azur à Nice. Sur son compte Twitter, suivi par 100 000 personnes, il partage des photographies de l’Univers et diffuse le savoir scientifique autour de la poussière d’étoile, son objet principal de recherche. Il évoque pour La Fugue le rôle de l’astrophysique dans la compréhension de notre monde et dans la résolution de nos grands défis sociétaux. Il plaide avec ardeur pour un décloisonnement des filières littéraires et scientifiques.
Pouvez-vous nous dire tout d’abord ce qui vous a amené aux étoiles ?
Ce qui m’a amené aux étoiles ? La curiosité, je pense : j’ai toujours cherché à comprendre les choses. J’ai fait des études de sciences parce que c’est la filière vers laquelle on pousse les bons élèves dans le secondaire, ce qui, d’ailleurs, n’est pas forcément une bonne chose. En cours de physique je me suis rendu compte que l’on pouvait comprendre l’origine de l’Univers, hors, pour la curiosité, il n’y a pas de chose plus grande, ni de meilleur terrain de jeu que l’Univers.
Pouvez-vous nous décrire votre métier et vos recherches ? Que signifient les poussières d’étoiles ?
Je suis enseignant-chercheur à l’Université Côte-d’Azur, et je fais aussi du service à la communauté : je rends disponible des données qui viennent par exemple du Chili, pour que les chercheurs et les chercheuses puissent les exploiter. Je travaille à la diffusion des connaissances, qui me tient beaucoup à cœur, et je travaille au développement de l’astrophysique en Afrique. Quant à mon sujet d’étoiles, il concerne la mort des étoiles, et notamment la poussière qui se forme quand une étoile meurt. Cette poussière rejette de nouveaux atomes créés auparavant au cœur de l’étoile et qui servent ensuite à former des molécules. La poussière d’étoile peut ressembler, pour vous donner une idée, à de la suie ou à du sable. Ces petites particules d’un millième de millimètre sont importantes à la formation d’étoiles ou de molécules.
Comment concevez-vous votre rôle de “diffuseur” du savoir scientifique ? Quelle place pour Twitter et les réseaux sociaux pour le vulgariser ?
Je préfère parler de diffusion plutôt que de vulgarisation. Notre société est confrontée à de grands défis scientifiques, et mon but est que notre société prenne la mesure des enjeux climatiques, énergétiques et sanitaires auxquels elle est confrontée. Les réseaux sociaux sont un très bel outil car ils permettent de toucher un public large. Mon but est d’amener la science là où elle ne va pas : parler de science dans les prisons, dans les petits villages, et les réseaux sociaux contribuent à cela aussi ! L’idée est de ne pas rester dans un entre-soi et de faire en sorte que tout le monde y ait accès. Cependant avec les réseaux sociaux, il est difficile de capter l’attention des gens : c’est là que l’usage des photographies de l’Univers aide beaucoup, parce qu’elles attirent les internautes d’un point de vue d’abord esthétique. On peut leur donner à cette occasion des explications succinctes mais claires, pour qu’ils apprennent véritablement de cet univers et se familiarisent avec la science.
20Minutes évoque à votre propos la préparation d’un spectacle et la sortie d’un livre prochainement ?
Oui, je n’avais pas spécialement prévu d’écrire un livre mais on me l’a demandé. La rédaction d’un livre est aussi l’occasion de prendre le temps de produire un résultat plus abouti que dans des tweets, de pousser la réflexion un peu plus loin. Mon but est toujours de faire en sorte que les gens se re-connectent à l’Univers, qu’ils regardent le ciel. L’idée est de faire en sorte qu’un public large soit touché, qui n’aurait pas lu un livre d’astrophysique autrement. Que mes lecteurs apprennent des choses et passent un bon moment, et que la science soit désacralisée et plus inclusive, à tous points de vue. Et en effet, je prépare un spectacle. On a une première à Strasbourg le 16 avril, avec un invité surprise…
Vous avez parlé dans l’entretien accordé à 20Minutes des défis sociétaux auxquels la science peut répondre, quels sont-ils ? Et faut-il fixer des "objectifs" à la science ?
Le danger c’est de vouloir appliquer la science à l’immédiateté. Pour moi la science, c’est la compréhension du monde, et cela n’a d’applications matérielles parfois que des décennies plus tard. L’objectif premier est de faire en sorte que les citoyens comprennent les enjeux liés à la science, puisque ce sont eux qui vont élire nos représentants. Si les citoyens n’ont pas les outils pour comprendre les enjeux climatiques ou énergétiques, ils ne seront pas représentés de manière juste.
Par ailleurs, j’aimerais qu’on donne aux gens le rêve d’une société meilleure ! Les hommes politiques ont tendance à entretenir la peur au sujet du réchauffement climatique par exemple, mais il faudrait pouvoir planifier ces changements à l’avance pour qu’ils ne soient pas subis. Par exemple, on aurait tout intérêt à éteindre les lumières dans certaines rues des villes la nuit (les statistiques montrent que la criminalité n’augmenterait pas). Il y a des choses simples que l’on devrait pouvoir mettre en place.
Qu’apporte à notre société contemporaine la contemplation de l’Univers ?
Je pense d’abord qu’on a perdu cette contemplation. Si je montrais ce soir le ciel à quelqu’un dans la rue en disant “Regardez, Jupiter est très brillant, là c’est Saturne et là, Mars”, on me répondrait “On voit les planètes à l’œil nu ?” Mais évidemment ! Les Grecs ne les ont pas inventés ! On s’est déconnecté du ciel, la pollution lumineuse a fait qu’on ne peut plus le voir, et j’invite chacun à sortir regarder le ciel dans un endroit préservé de la pollution lumineuse, et contempler, mais intelligemment : à identifier les éléments, comme la Voie lactée, ou notre galaxie qui s’est formée il y a des centaines de milliards d’années. Il faut poser des questions. L’astronomie, c’est chercher les réponses aux questions que l’humanité s’est toujours posées, sur la formation de la Terre, de l’Univers, du système solaire… Et l’émerveillement, la contemplation mènent à des questions philosophiques fondamentales, auxquelles la science peut apporter des réponses !
Sur le fronton de l’École d’Athène était inscrite cette phrase : nul n’entre ici s’il n’est géomètre. Quel rapport concevez-vous entre la science et la philosophie ?
Je n’aime pas cloisonner les disciplines : auparavant on parlait de savants, maintenant on parle de chercheurs, avec des sujets de recherche bien précis et délimités. Je trouve qu’il est important de travailler avec des chercheurs en sciences sociales, de discuter avec des philosophes, parce qu’on a besoin les uns des autres. C’est la culture de l’Humanité qui est un tout, il n’y a pas de culture spécifiquement scientifique ! Chaque civilisation avait sa cosmogonie, c’est-à-dire sa représentation de l’Univers , et j’aime beaucoup découvrir ces différences sur le plan anthropologique. La plupart des noms des étoiles viennent de termes arabes, par exemple. Nous sommes assis sur des épaules de géants, et ces géants sont multiples, ils viennent de partout.
Aujourd’hui, beaucoup ont tendance à penser que les sciences sont compliquées. Parfois, certains se font une fierté de dire qu’ils ne comprennent pas certaines choses, alors que ce n’est pas compliqué. Pour faire avancer la recherche, il faut des outils, mais pour comprendre le reste, il suffit de prendre le temps de réfléchir. Il faut décloisonner et arrêter de considérer les sciences comme une discipline réservée à une élite. Quand je fais de l’astronomie, je peux faire de l’histoire, travailler avec des sociologues… Par exemple, nous allons prochainement construire des télescopes à Hawaï : nous nous interrogeons dans ce cas sur leur impact par rapport à la population locale. C’est important de ne pas cloisonner !
Par rapport aux autres pays du monde et aux autres civilisations justement, où la France se situe-t-elle en matière de recherche, et au regard de l’Histoire ?
La France est un pays précurseur dans le domaine depuis les Lumières, à une période, encore une fois, où le philosophe et le scientifique étaient une seule et même personne. Aujourd’hui, la France fait encore partie des pays les plus avancés dans la recherche scientifique, mais aussi parce que c’est lié au PIB. Même si l’État investit une proportion plus faible du budget dans la recherche que d’autres pays, nous sommes au niveau de pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Japon… Il y a beaucoup de chercheurs français aux États-Unis également. Françoise Combes est la figure de proue de l’astrophysique en France, elle a reçu la médaille d’or du CNRS en 2020, soit la dernière récompense avant le Prix Nobel.
Pensez-vous que, plus l’Univers sera connu, plus il sera démystifié aux yeux des Hommes et cessera de l’inspirer ?
L’histoire de l’univers racontée par l’astrophysique, je trouve que c’est de la belle poésie ! Raconter que nous sommes les fruits d’un voyage de 13,8 milliards d’années, que tous les atomes de notre corps ont soit plus 13 milliards d’années soit plus de 5 milliards d’années parce qu’ils ont été formés soit après le big bang soit par les étoiles, c’est beau je trouve. C’est pour cela qu’il ne faut pas faire de cloisonnement entre les littéraires et les scientifiques, nous avons besoin des deux.
Les étoiles, le ciel et l'univers en général sont souvent un espace investi par les hommes, croyants ou pas, notamment dans l’imaginaire de la vie après la mort. Quelle est la dimension spirituelle de l’univers selon vous ?
En tant que chercheur, je n’essaye pas d’expliquer “pourquoi” mais “comment”. Si on explique “comment”, certains vont dire ensuite que c’est un Dieu qui est à l’origine de cela, d’autres non. Il y a des gens religieux parmi les scientifiques et des gens non religieux. Évidemment, l’interprétation littérale de certains textes sacrés n’est pas possible, mais encore une fois ce n’est pas la même question ; moi je réponds “comment”. “Pourquoi”, c’est une interprétation métaphysique.
Vous évoquez régulièrement votre appartenance à la terre bretonne, et vous êtes petit-fils d’agriculteur : alors, peut-on avoir à la fois la tête dans les étoiles et les pieds sur terre ?
Oui, j’espère que j’ai les pieds sur terre ! Je viens d’un milieu populaire, mon père n’est pas allé au collège, mais à 14 ans il est allé travailler sur les chantiers. Pour moi, ce milieu où j’ai grandi est très important : je reviens régulièrement donner des conférences dans mon lycée, et cet été je suis revenu dans mon université. Je n’entends pas dire que je suis un modèle, mais je viens témoigner : j’ai grandi dans un milieu où les gens ne bougent pas beaucoup et ont peu d’opportunités, où la reproduction sociale est une réalité.