Le renouveau des rêves spatiaux avec les expéditions prévues sur la Lune puis sur Mars n’est pas seulement porté par des États mais se fait main dans la main avec des entreprises privées. Cette mutation économique profonde accélère les innovations et rendra l’espace bien plus accessible.
« Three, two, one, zero, LIFT OFF! » Ce décompte rythma l’émotion du monde lors de la mise à feu d’Apollo 11, emmenant les astronautes américains sur la Lune. 53 ans plus tard, en novembre 2022, nous avons assisté au lancement d’Artemis 1, le premier volet de la mission Artemis prévoyant le retour de l’Homme sur la Lune en 2024 puis une colonisation humaine du satellite. Si les ambitions de la conquête spatiale reviennent, on peut d’ores et déjà remarquer une différence de taille : la NASA a contractualisé avec de nombreuses entreprises privées pour cette mission d’envergure. Cette distinction confirme l’avènement d’une ère nouvelle que certains appellent le “New Space”. Elle se traduit par l’entrée des entreprises privées dans la course spatiale.
Changement de paradigme : la multiplication des entreprises privées
Une baisse drastique des coûts de production – Demandez à une entreprise de se lancer dans un projet où les coûts seront supérieurs aux revenus. Impossible, c’est la faillite. L’espace ne déroge pas à la règle, domaine aussi aventurier soit-il. Ainsi, s’il a été possible pour des entreprises privées de pénétrer ce marché extraterrestre, c’est bien grâce à la baisse du prix de la mise en orbite des fusées et des satellites. L’expérience accumulée des dernières décennies ainsi que l’utilisation de nouvelles technologies comme le digital, l’analyse des données ou l’intelligence artificielle ont, entre autres, propulsé l’efficience de la production à des niveaux inégalés. Entre 1970 et 2000, le coût moyen pour envoyer un kilogramme dans l’espace s’élevait à 18 500 $. Avec le Flacon Heavy de SpaceX, le coût est maintenant seulement de 1 400 $ soit une baisse de 92% en 20 ans. Des soldes qui feraient rêver n’importe quel consommateur ici-bas… En tout cas, elles ont ouvert la porte de l’univers aux entreprises privées.
De nouvelles opportunités commerciales – Mise à l’aune des médias avec l’entreprise SpaceX notamment, la commercialisation de l’espace n’est cependant pas toute récente. Dès les années 1970, avec le développement des télécommunications, des entreprises envoyant des satellites en orbite terrestre virent le jour. À peine 10 ans plus tard, les fusées Ariane de la firme française Arianespace s’imposaient comme numéro un du transport spatial commercial dans le monde. Et l’accessibilité de technologies révolutionnaires comme la géolocalisation ou la télévision par satellite ont été le fruit de ces lancements privés. Toutefois, il s’agissait de la commercialisation de produits “espace-terre” ; on utilisait l’espace en vue d’applications terrestres. Le nouveau souffle spatial ou “New Space” se traduit par la commercialisation de projets “espace-espace” traditionnellement portés par les agences gouvernementales comme pendant la guerre froide. C’est ainsi que la NASA délègue à présent certains de ses lancements à des fusées SpaceX ou que les entreprises se lancent dans des aventures spatiales en toute autonomie. Un des secteurs les plus médiatisés est le tourisme spatial porté par le triptyque SpaceX, Blue Origin, et Virgin Galactic des milliardaires respectifs Elon Musk (Tesla), Jeff Bezos (Amazon), Richard Branson (Virgin Group). Dans des perspectives plus lointaines, on peut aussi citer les projets de villes sur la lune ou le développement de mines spatiales.
Une « Space Economy » croissante – Ces opportunités de développement privé stimulent l’économie de l’espace. Le marché spatial, actuellement évalué à 469 milliards de dollars, devrait continuer de croître pour atteindre 1000 milliards en 2040 selon la banque Morgan Stanley, soit le tiers du PIB actuel de la France. Et la part du privé est devenue très importante : à ce jour plus de 10 000 entreprises agissent pour l’industrie et ce, dans des domaines aussi variés que les lanceurs, la médecine ou les fabrications de machines Nespresso dans l’espace. L’augmentation de l’investissement des acteurs privés, le nombre des start-up soutenues et donc les retours sur investissements attendus pointent du doigt cet engouement.
Est-ce une bonne nouvelle ?
Un financement d’origine plurielle – Le gouvernement américain a dépensé près de 500 milliards de dollars sur ses programmes spatiaux entre 1960 et 1973. Une dépense nécessairement imputée au contribuable. Ce nouveau terrain de jeu pour les entreprises permet de diversifier les financements et les prises de risque des avancées spatiales pour qu’ils ne soient plus uniquement sous la coupe de choix politiques mais alternativement le résultat de décisions économiques. Une collaboration entre acteurs publics et privés s’est donc imposée et permettent aux États d’utiliser leurs fonds uniquement dans des domaines où il n’existe pas de commerce viable. En d’autres termes, les États vont pouvoir consacrer leurs budgets à la recherche pendant que les entreprises privées se consacreront aux projets rentables. Enfin, la multiplication des projets, privés et publics, amplifiera la recherche.
Une compétition au service de l’innovation – La contrainte de la rentabilité ainsi que la compétition entre les entreprises obligent ces dernières à l’innovation. Le confort des programmes spatiaux se basant sur des contrats gouvernementaux ont limité cette contrainte créatrice ainsi que la prise de risques. La décorrélation des agendas politiques et économiques a donc agi comme un catalyseur sans précédent pour les avancées spatiales. Il n’y a qu’à voir comment SpaceX a envoyé une onde de choc dans le monde avec ses lanceurs réutilisables. Par la suite, Arianespace a dû fabriquer Ariane 6 pour pouvoir rendre ses prix plus attractifs par exemple. Cette compétition entraîne donc une spirale vertueuse de découvertes, d’efficience et d’économies d’échelle majeures. Et ces avancées rendent service à leur tour aux agences publiques qui bénéficient de prix bien plus attractifs pour mener leurs missions.
Pour terminer, rappelons-nous que l’Économie cherche à traiter un problème d’allocation de ressources. Avec les contraintes terrestres qui sont les nôtres, la conquête de l’Espace peut être brandie comme une des solutions au problème de ressources finies. Mais pour ce faire, la conquête spatiale ne pourra pas se passer des leçons économiques terrestres. Les désastres écologiques comme la pollution des sols et de l’air entraînés par les activités humaines sur la Terre risquent de se reproduire en dehors de notre atmosphère avec le problème des débris spatiaux. Aujourd’hui, il représente déjà une menace pour les nombreux programmes en cours et la poursuite de la recherche. Si l’on veut bénéficier des avantages des principes libéraux, notamment la compétition entre les entreprises, il faut que les gouvernants imposent un cadre empêchant la détérioration future de cesmêmes principes. Si, comme le disait le pape Pie XII, « Dieu n’a pas l’intention de fixer une limite aux efforts de l’Homme pour conquérir l’Espace », il ne faudrait pas néanmoins que l’Homme se fixe lui-même cette limite irréversible.