Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux olympiques modernes, voyait dans le sport un moyen de promouvoir la paix entre les peuples. Mais les compétitions internationales exacerbent les sentiments nationaux et suscitent des passions, ce qui ne pouvait les tenir à l’écart de la politique et de l’économie. Si les évènements sportifs sont tant attendus par les supporters, ils ne le sont pas moins par les Etats.
Le sport, vecteur des relations internationales
La raison d’Etat n’est pas toujours comprise et l’art de la politique est de la rendre acceptable, surtout dans un monde où les démocraties sont nombreuses et où l’opinion publique devient une terre à conquérir. Le tournant international qu’a emprunté le sport à la fin du XIXème siècle et sa popularité en a fait une vitrine derrière laquelle chaque Etat s’expose dans une parade soigneusement orchestrée. Il faut exhiber des sportifs performants, reflets d’une jeunesse saine, des infrastructures de qualité pour les pays accueillant les événements, des sponsors nationaux … Tout cela participe à leur rayonnement sur la scène internationale et fait du sport un formidable outil de soft power. La capacité d’un Etat à être une grande puissance s’évalue presque autant par le PIB que par le nombre de médailles gagnées aux Jeux Olympiques. Le Général de Gaulle, pour qui la France ne pouvait exister qu’en tant que grande puissance, a initié dans les années soixante des investissements dans le nucléaire, le spatial et … le sport, à la suite de l’humiliation nationale aux JO de Rome (1960). Il déclara même qu’« un pays doit être grand par la qualité de sa jeunesse et on ne saurait concevoir cette jeunesse sans un idéal sportif. »
Le terme de ”diplomatie sportive” est utilisé par les dirigeants eux-mêmes, à commencer par les américains, et englobe toutes les particularités du sport dans l’exercice d’une diplomatie adressée au grand public. Pendant la Guerre froide, l’invitation par les Chinois en 1971 de pongistes américains visait le rapprochement, a priori impossible, d’un régime communiste avec la démocratie libérale, chef de file du bloc de l’Ouest. Cette mise en scène, plus tard appelée ”diplomatie du ping-pong” cachait en réalité la poursuite des intérêts des deux pays, qui allaient bientôt s’allier contre l’URSS dans une logique de puissance dépassant largement le sport. A l’ère où les dirigeants politiques communiquent parfois directement avec les populations (via les réseaux sociaux), ce phénomène s’est largement amplifié.
Des rapports de force dissimulés
Les nouvelles dimensions que prend le sport aujourd’hui créent des occasions de prolonger les rapports de force dans les stades. La mondialisation, les guerres médiatiques ou encore la financiarisation, conduisent les Etats à utiliser le sport comme un levier de puissance, rendant la frontière entre le soft et le hard power de plus en plus ténue dans ce domaine. En plus de leur offrir une grande visibilité, il est devenu un secteur économique à très forte valeur ajoutée, en raison de la professionnalisation des jeux, de la globalisation, et surtout de sa popularité. Le sport moderne, et particulièrement le football, sans cesse à la recherche de financements, est une aubaine pour les investisseurs privés mais aussi étatiques. Si le niveau des salaires ou le prix des clubs de football peuvent choquer, ils reflètent néanmoins la réalité d’un secteur économique florissant dans lequel les sommes investies et la valeur ajoutée sont astronomiques. Les investissements dans les sponsors et les droits de télédiffusion massifs génèrent des profits considérables, ce qui explique l’intérêt grandissant des financiers pour les clubs de football par exemple. Ainsi, Nasser al-Khelaifi, président qatari du Paris Saint-Germain (PSG) estime la valeur de son club à quatre milliards d’euros ! Pour des économies de rente comme les Etats du Golfe, le sport n’offre donc pas seulement une occasion de rayonner, mais aussi un moyen affiché d’accompagner la diversification de leur économie en transformant leur manne pétrolière et gazière en véritable puissance financière.
La pierre d’angle de la stratégie du Qatar
Depuis le tournant initié en 1995 par l’arrivée au pouvoir de Hamad al-Thani, le Qatar a placé le sport au centre de sa stratégie nationale. Il ne s’agit pourtant pas d’un pays ancré dans une tradition sportive, ce que prouve d’ailleurs ses performances encore faibles dans tous les sports. Comme tous les Etats, sa situation géographique détermine ses intérêts vitaux. Ce pays, qui n’est pas plus grand que la Gironde, regorge de pétrole et de gaz conventionnel, avantage considérable qui pourrait toutefois le placer au cœur des convoitises. La sécurité de son territoire et la diversification de son économie sont donc les deux axes majeurs de sa politique extérieure. Multipliant les accords bilatéraux, pour pallier une défense nationale quasi-inexistante, et les investissements à l’étranger, le Qatar poursuit l’objectif assumé de devenir une puissance régionale et internationale. C’est vers cela que convergent toutes les stratégies exposées dans le plan Qatar National Vision 2030 qui vise à en faire une économie moderne et un pays rayonnant. Le sport est le trait d’union entre tous ses objectifs. En cherchant à devenir un lieu sportif incontournable, il accède à une surexposition médiatique qui lui permet de s’afficher comme une nation moderne et prospère. Il multiplie les investissements sportifs par le biais du Qatar Sport Investment, fond souverain créé en 2004, et envahit les marchés des droits de télédiffusion partout dans le monde. Malgré sa superficie et des conditions géographiques contraignantes, ce micro-Etat a su s’imposer comme une destination sportive incontournable et une puissance financière remarquable. L’accueil de la Coupe du monde de 2022 est à la fois le résultat et la continuité de cette politique, en plaçant le Qatar au centre de l’attention mondiale. Même si des polémiques ont agité les sociétés occidentales avant le championnat, elles ont été rapidement relayées au second plan devant le faste et la grandeur de l’évènement, suscitant une admiration unanime, particulièrement dans le monde arabe.