La Coupe du monde a pris fin le 18 décembre dernier avec la victoire de l’Albiceleste au terme d’une finale qui restera longtemps dans les mémoires. Mais au-delà du résultat sportif, quel regard porter sur cette édition parmi les plus polémiques de l’histoire ?
Des scandales à la pelle :
Comment ne pas revenir d’abord à l’origine de cette coupe du monde, c’est-à-dire à son attribution au Qatar ? « Par quel miracle le Qatar, qui avait le plus mauvais dossier de tous les candidats, a obtenu la Coupe du monde ? », c’est la question que pose Sepp Blatter, président de la FIFA (Fédération Internationale du Football Association) jusqu’en 2015, devant les caméras de la cellule d’investigation de Radio France. L’enquête réalisée par Pierre-Stéphane Fort et Nicolas Bellot pointe en particulier les liens entre Michel Platini, dont le vote pour l’attribution de la coupe du monde aurait été déterminant, le président Sarkozy et celui qui était à l’époque le prince héritier du Qatar, Tamim Ben Hamad Al-Thani. Tout se serait joué quelques jours avant le vote, lors d’un dîner à l’Elysée le 23 novembre 2010, au cours duquel Nicolas Sarkozy aurait obtenu le rachat du Paris Saint-Germain, propriété de son ami Sébastien Bazin alors en difficulté, en échange de la voix de l’ancienne star de l’équipe de France qui devait rallier à sa cause trois autres personnes. Malgré des preuves parfois accablantes, l’affaire n’est pas prête d’être élucidée. Depuis 2019, une procédure d’information judiciaire du Parquet national financier est tout de même en cours pour « corruption active et passive », « blanchiment » et « recel » concernant cette attribution du mondial.
Par la suite, ce sont les problématiques écologiques et sociales qui ont surgi, le gouvernement qatari n’ayant pas les mêmes préoccupations que les démocraties occidentales. Mais tout cela n’a pu être évoqué que très tard ; il a par exemple fallu attendre février 2021 et la publication d’une enquête du quotidien britannique The Guardian révélant qu’au moins 6 500 travailleurs immigrés au Qatar y étaient morts entre 2011 et 2020 pour que nous prenions conscience de l’ampleur de la situation. En cause, l’opacité de l’organisation du mondial qui empêche encore d’évaluer précisément les dégâts humains et écologiques ; The Guardian avait eu recours à des données en provenance d’Inde, du Bangladesh, du Népal et du Sri Lanka, ainsi qu’à des chiffres émanant de l’ambassade du Pakistan au Qatar.
Enfin, à l’aberration que représente l’organisation d’une coupe du monde dans un tel pays, qui entretient le règne de l’éphémère, s’ajoute l’hypocrisie des dirigeants du football mondial. La veille de l’ouverture de la Coupe du monde, Gianni Infantino, le patron de la FIFA, sous l’œil médusé des journalistes, s’indignait encore de l’injustice que subissait le pays hôte, tout en déclarant que « pour ce que nous, les Européens, avons fait au cours des 3.000 dernières années, nous devrions nous excuser pour les 3.000 prochaines années avant de donner des leçons de morale aux autres ».
Un enthousiasme relatif :
Tout cela a-t-il eu des conséquences sur les audiences télévisées ? Y-a-t-il eu boycott ? Si la finale de la Coupe du monde a rassemblé plus de 20 millions de téléspectateurs sur TF1 et un pic à 29 millions lors de la séance des tirs au but, ce qui est un record absolu dans l’histoire de la télévision en France, ce constat est tout de même à relativiser, puisqu’il ne concerne que la France et que l’on comprend aisément que le parcours de l’équipe de France ait eu raison des plus fervents opposants à cette coupe du monde…
Au niveau européen, selon les calculs de Challenges, 54 millions de personnes ont regardé le premier match de leur sélection nationale lors du Mondial 2022, soit 40 millions de moins qu’en 2018, ce n’est pas rien. Et au niveau mondial, le match d’ouverture opposant le Qatar à l’Equateur n’a été suivi que par 6,21 millions de téléspectateurs tandis que 10 millions de téléspectateurs avaient regardé le premier match du Mondial 2018 entre la Russie et l’Arabie saoudite (une affiche à peu près équivalente).
Ces données plus générales permettent ainsi de voir que la Coupe du monde a suscité moins d’enthousiasme que la dernière édition et que les nombreuses polémiques qu’elle a entraînées en sont la cause première, étant donné les horaires des matchs observés. Cependant, on remarque aussi que cet écart n’est dû qu’aux audiences européennes ; Nabil Ennasri, docteur en sciences politiques et spécialiste du Qatar notait, dans un article du Monde, que les appels au boycott avaient, en effet, porté leur fruit uniquement en Europe tandis que l’Asie, l’Amérique Latine et le monde arabe y étaient demeurés largement indifférents.
Le pari gagnant du Qatar :
Organiser une coupe du monde dans un État pour le moins à contre-courant du progressisme ambiant, promettre d’accueillir le double de la population locale, climatiser des stades en plein désert quand on parle d’urgence écologique en Occident… il fallait oser !
220 milliards de dollars c’est le montant que le Qatar a investi pour pouvoir accueillir la coupe du monde de foot, selon les calculs du cabinet Deloitte. Ils ont servi à la construction des 8 stades, mais aussi à la construction de lignes de métro, de tunnels et de ponts, d’hôtels ou encore de stations d’épuration. Un investissement colossal, 10 fois plus élevé que celui effectué par la Russie en 2018, faisant de cette compétition la plus chère de l’histoire. Le Qatar n’a donc pas démenti sa renommée de ce point de vue ! Mais il faut bien sûr y voir un investissement, qui a permis au Qatar d’augmenter considérablement ses capacités d’accueil touristique, et surtout de créer une image de marque et d’en faire la publicité. Le souvenir de cette coupe du monde, conclue par une finale de rêve, restera attaché à l’image du Qatar, qui n’a été ternie par aucun incident grave ou défaut d’organisation, une fois la compétition lancée.
Plus que toutes les autres, cette édition 2022 est un succès pour son pays hôte qui a pris un tournant symbolique au yeux du monde, malgré les polémiques qui, comme on l’a vu, n’ont eu de résonances qu’en Europe. Pour la première fois peut-être l’attention du monde entier a été portée sur un pays du Golfe sans qu’il ne s’agisse d’un conflit, et le Qatar a même eu l’occasion de démontrer ainsi son sens traditionnel de l’accueil et de la fête. C’était aussi l’occasion pour lui de prouver la valeur de ses savoir-faire et la possibilité d’un nouveau modèle écologique à travers la mise en place de politiques d’écoconstruction dont il est, cependant, très difficile de mesurer l’application réelle. Sur le plan diplomatique, la coupe du monde semble avoir été l’occasion de nombreux rapprochements notamment avec l’Arabie Saoudite, ennemi juré depuis quatre ans. Parmi les belles images de la Coupe du monde, on retiendra, en effet, celle de l’émir du Qatar arborant à son cou le drapeau de l’Arabie Saoudite après son exploit contre l’Argentine, en phase de groupes. Cela a participé à construire l’image d’un territoire idyllique, d’un pays tourné vers l’avenir et d’une culture qui n’est pas en contradiction avec celle des pays occidentaux ; les autorités ayant su se montrer conciliantes en n’appliquant pas le règlement dans sa totalité, notamment en ce qui concerne les vêtements.
Cependant, la partie n’est pas gagnée pour autant puisqu’il faut espérer que la lumière sera un jour faite sur les suspicions de corruption autour du mondial. Ces suspicions s’alourdissent encore davantage depuis les révélations ahurissantes du parquet fédéral de Belgique, qui accuse l’émirat d’avoir influencé les décisions du Parlement européen en achetant au moins six personnalités, dont une vice-présidente de l’institution.
Il apparaît en fin de compte que le foot est éminemment politique, pour le meilleur et pour le pire.