Psychanalyste, Geneviève de Parseval a mené de nombreux travaux de recherche, notamment autour des questions de bioéthique, de la parentalité et de ses avatars. En plus de son activité de psychanalyste, Geneviève de Parseval est chroniqueuse et a publié une dizaine de livres.
Après avoir écrit L’art d’accommoder les bébés en 1980, vous venez de publier L’art d’accommoder la vieillesse. Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans l’aube et le crépuscule de la vie ?
Je me suis intéressée en effet aux différents âges de la vie d’un point de vue psychanalytique, c’est-à-dire que je m’intéresse à ce qui se passe dans le psychisme. Freud l’avait montré le premier en parlant des stades du développement de la libido (stade oral, anal, génital). Ce qu’on sait moins, c’est ce qui se passe après la puberté. Freud considérait qu’à ce moment le jeune adulte était fait, et que le reste était des histoires personnelles. Or, j’ai particulièrement travaillé pour ma part sur ce qui se passe après. La vie adulte des humains est ponctuée de crises, notamment celle de la mi-vie que le psychanalyste canadien Elliott Jacques, par exemple, a analysée. Au moment de la vieillesse, il y a de nouveau un remaniement de l’énergie psychique qui débouche sur un nouveau stade. Il ne faut pas considérer que la vieillesse aboutit simplement à la mort. Ce livre, L’art d’accommoder la vieillesse, est donc l’aboutissement de ma réflexion sur les âges de la vie.
Qu’est-ce que nous apprend la psychanalyse sur la vieillesse ?
Tout d’abord, la psychanalyse nous apprend que la vieillesse n’est pas une période déterminée. Pour faire allusion à la réforme des retraites, la vieillesse ne commence pas forcément à 60, 64 ou 80 ans. Il faut comprendre qu’on vieillit dans sa tête, c’est-à-dire que cette période se définit par la capacité de relire sa vie et de prendre un nouveau départ. On a tendance à considérer, dans notre société qui est très gérontophobe, que la vieillesse est une pente déclinante qui finit par la mort, comme s’il n’y avait rien d’autre à dire. Or, ce que dit la psychanalyse, c’est que c’est un stade de la vie, comme un autre. Moi, vous voyez, je suis en plein dans ce stade et je n’ai jamais autant travaillé. Il y a des gens par exemple qui sont vieux à 50 ou même à 40 ans, et d’autres qui sont jeunes à 90 ans (comme Edgar Morin qui, à plus de cent ans, vient d’écrire un nouveau livre) ; bien sûr, cette vision n’est pas évidente du tout dans notre société.
Susan Neiman, une philosophe américaine, a d’ailleurs écrit un livre intitulé Grandir – Éloge de l’âge adulte à une époque qui nous infantilise. C’est remarquable : elle développe ce thème de manière très intelligente et montre qu’aucun âge de la vie n’est a priori plus enviable qu’un autre et c’est ce que je pense et constate vraiment.
Finalement est-ce que la vieillesse est la période de la vie où se réalise cet adage grec « connais-toi toi-même » qui définit la sagesse ?
Oui ! La psychanalyse montre que la vie n’est pas une courbe ascendante pendant notre jeunesse et déclinante pendant notre vieillesse. C’est plutôt une succession de paliers dont le dernier est celui de la mort. À l’occasion d’une maladie ou d’une autre difficulté, on descend souvent une marche, et puis on remonte et certains moments de notre vie, comme je le disais, sont des marches plus importantes. Tout cela n’est pas fixe et prédéterminé pour tout le monde, mais en tout cas, il ne s’agit pas d’une courbe descendante qui est pourtant le schéma gérontophobe de la société contemporaine.
Vous déplorez à plusieurs reprises dans votre dernier ouvrage la gérontophobie de la société française. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous conduit à porter un tel jugement et comment se manifeste ce rejet des plus anciens dans notre pays ?
Dans notre société, c’est assez évident, quand vous êtes vieux, vous êtes un peu “has been”, vous êtes censé ne plus être pas au courant des choses qui se passent, plus dans le coup. Dans d’autres cultures, cependant, les personnes âgées sont considérées comme des “personnes-ressources” parce qu’elles ont l’expérience de ce qu’elles ont vécu. Les procédures administratives, par exemple, ne sont absolument plus à la portée de certaines personnes âgées et il n’y a pas véritablement de service pour les accompagner. Et s’ajoute à cela le scandale sur les conditions de traitement épouvantables des personnes âgées dans les Ehpads.
Lorsqu’on invite dans un média une personne qui a connu la Seconde Guerre mondiale, par exemple, c’est une façon, pour la société, de se déculpabiliser. Quant au vieillard lambda qui vit au 5ème étage d’un immeuble sans ascenseur, personne ne va lui demander quoi que ce soit. Pourtant, il a tant de choses à nous dire. Je pense qu’il y a de l’hypocrisie à mettre en lumière certaines personnes âgées, alors que dans notre rapport plus quotidien à ces personnes, c’est plus complexe. Je ne dis pas que toutes les personnes âgées sont méprisées, mais nous n’avons pas l’habitude, en tout cas, d’entretenir de vrais liens avec elles, d’attendre quelque chose de leur part.
Vous êtes membre du Conseil national autoproclamé de la vieillesse, fondé en 2021 par votre amie Véronique Fournier. Est-ce que vous pouvez nous expliquer le rôle de cette association ?
Tous les quatre ou cinq ans, on nous annonce qu’on va faire une grande loi sur la vieillesse, et cette loi n’arrive jamais. Et puis, on réagit de manière ponctuelle, par exemple, lors du scandale des Ehpads. Nous nous sommes donc dit, avec un groupe d’intellectuels âgés et connus, qu’il fallait créer ce Conseil national afin de développer ensemble des idées et de les faire avancer. Nous produisons des documents et nous organisons des événements, par exemple des journées portes ouvertes, avec des tables rondes. Cela dit, nous faisons ça sur nos temps libres et avec un peu de dérision de notre part, mais c’est un début.
Dans votre livre, vous citez Platon qui, dans La République, montre Socrate heureux de s’entretenir avec des personnes âgées. Est-ce que vous conseillez justement à nos lecteurs, étudiants pour la plupart, la compagnie des personnes âgées, et de quelle manière ?
Oui, je trouve ça intéressant et important. J’ai moi-même des discussions avec mes petits-enfants qui sont des jeunes adultes, et je remarque que, indépendamment des questions familiales, on a chacun des choses à s’apporter. J’ai d’ailleurs découvert qu’il y a quelques expériences de logement où les jeunes et les vieux vivent dans les mêmes bâtiments. Notre société passe son temps à faire des clivages, à mettre les gens dans des boîtes et c’est très regrettable.
Vous faites mention plusieurs fois du noyau jeune qu’il faut entretenir en soi afin de vieillir sereinement dans la joie. Qu’est-ce qui peut constituer ce noyau jeune ? Est-ce-que cela s’apparente à l’art, la créativité ou encore le lien social ?
C’est un peu tout ce que vous dites. Justement, quand on est jeune, on ne perçoit pas ce noyau. Ce qu’on voit quand on est jeune, le plus souvent, ce sont toutes les possibilités ouvertes ; on est dans l’action. Alors que ce noyau, ce “noyau jeune”, on le perçoit de mieux en mieux quand on vieillit. Moi par exemple, j’ai découvert mon “noyau jeune” assez tard et je me suis rendu compte qu’il était l’humour, en toutes circonstances, même quand j’étais à l’hôpital. J’avais de l’humour quand j’avais 20 ans, c’était un tempérament, mais maintenant c’est une grande force. Le noyau jeune, c’est savoir au fond quel est votre moteur intérieur.
Qu’est-ce que la maturescence ?
C’est le fait de se sentir d’âge mûr, ça peut être au moment de la mi-vie ou bien après. C’est là tout l’intérêt de la vieillesse. Avant cette période-là, on fait des brouillons en quelque sorte, d’un point de vue professionnel comme d’un point de vue personnel. C’est d’ailleurs souvent à ce moment que l’on choisit de se consacrer enfin pleinement à sa passion.
Comment remédier à la gérontophobie ?
Tout d’abord, favoriser les échanges entre les générations. Les échanges entre vieux et jeunes ne sont favorisés par aucune structure. Je serais, moi, tout à fait prête à participer à un groupe de parole de ce type. Il n’y a plus les structures traditionnelles qui permettaient ces liens intergénérationnels, il ne reste que la famille, mais dans la famille, c’est une communication un peu biaisée dans la mesure où plein de facteurs entrent en jeu. Il n’y a donc plus de lieux pour de telles discussions entre les générations. C’est à votre génération de relever ce défi. La société individualiste ne favorise pas cela, et elle montre par là ses limites. Nous faisons face à beaucoup de difficultés aujourd’hui, mais ce n’est pas simplement aux jeunes d’y remédier, ce sont des défis pour tous les âges.
Propos recueillis par Emmanuel Hanappier et François Bouyé.