La France a toujours bénéficié d’un soft power hors-norme, notamment grâce à une mode élégante. En la matière, la concurrence internationale devient de plus en plus rude dans la production mais aussi dans l’influence.
La France, pays de l’élégance
La puissance d’un pays se mesure davantage par sa capacité à rassembler autour de lui la plus grande coalition que par son poids militaire ou économique. Cette force d’attraction permise par des ressources intangibles comme la culture, les idées ou les institutions, est ce que Joseph Nye a appelé le soft power.
Grâce au raffinement de sa culture et sa tendance naturelle à la propager, la France rayonne dans le monde. Elle a façonné au fil des ans une marque “France” signe d’une qualité souvent optimale. Certaines villes s’érigent ainsi en capitales mondiales dans différents domaines : Bordeaux pour le vin, Lyon pour la gastronomie, ou encore Paris pour l’art et… la mode !
La mode est soutenue par l’industrie du textile, qui a toujours été un secteur économique à gros potentiel. Son chiffre d’affaires, estimé par l’INSEE à 147 milliards d’euros en 2021, représente une part plus importante du PIB français que celui de l’automobile ou de l’aéronautique. Gagner des parts de marché est donc un enjeu pour peser économiquement, mais surtout le moyen de répandre sa culture, dont le vêtement est un vecteur. Cet intérêt pour la mode a été initié sous Louis XIV et Colbert d’abord dans un but industriel, par le développement de manufactures de textile au XVIIème siècle, puis diplomatique. Signe de magnificence de la Cour, elle a inspiré beaucoup d’artistes, parfois critiques vis-à-vis des étonnants « caprices de la mode, chez les Français ». Le visage de la couture s’est ensuite transformé, avec l’apparition et la multiplication des premières maisons, dans le Paris haussmannien du milieu du XIXème siècle. Le couturier devient un véritable artiste, imposant sa vision de la mode. Dans les hautes sphères des sociétés étrangères, Paris gagne des parts de marché, et diffuse discrètement son élégance. Les noms de Poiret, Chanel ou Lanvin, puis de Saint-Laurent, Cardin ou Dior, acquièrent petit à petit une renommée internationale. Celle-ci est renforcée par la création d’une appellation “haute-couture”, exclusivement réservée aux maisons parisiennes, qui fera très vite de Paris une métonymie de la France.
Paris, détrôné de son monopole
La mode française, reconnue mondialement, véhicule une image de luxe et de qualité que l’on retrouve dans la Gazette du Bon ton, Le petit écho de la mode, et plus tard Vogue ou Marie-Claire.
Mais déjà au début du XXème siècle, la presse américaine lance des campagnes de communication contre Paris, écrin de l’élégance, pour faire valoir ses propres couturiers. C’est le début d’une compétition mondiale, dans laquelle Rome, Londres et New-York entendent se faire une place. Plus qu’un simple produit de consommation, le vêtement est le reflet d’un mode de vie. Les défilés deviennent les théâtres d’une vraie lutte d’influence entre les pays, dans une géographie de la mode encore très marquée culturellement.
Dans les années 60, le style anglais envahit la France. Le chic à la française s’efface de plus en plus face à l’extravagance anglaise qu’adopte une génération marquée par la désinvolture et le défi des codes. La figure du dandy et la mini-jupe de Marie Quant viennent directement de l’autre côté de la Manche. En s’appropriant ce style vestimentaire, la jeunesse française embrasse la culture du Swinging London incarnée par les Beatles. Plus tard, le reversement des valeurs traditionnelles s’accompagne d’un bouleversement des codes vestimentaires incarné par les mouvements hippie et punk. Cette première remise en cause de la traditionnelle élégance française préparait le tournant des années 70, cette fois d’influence américaine.
L’ampleur de l’industrie des Etats-Unis leur permet d’ouvrir une nouvelle ère de la mode. La production en série plutôt que le sur-mesure, la quantité plutôt que la qualité et la masse plutôt que la singularité caractérisent cette nouvelle époque. En 1973, une bataille symbolique à lieu à Paris. Cinq créateurs américains et cinq français (Yves Saint-Laurent, Pierre Cardin, Hubert de Givenchy, Emanuel Ungaro et Marc Bohan), sont invités chez Christian Dior pour présenter leurs collections. La victoire des Américains, proposant des modèles simples face aux modèles et aux décors très chics des Français, marque un tournant dans la lutte d’influence. L’hégémonie parisienne est concrètement remise en cause par New-York et son style sportswear. Chemises et chaussures en cuir laissent place aux polo et aux baskets, même dans les classes sociales les plus élevées. Les disparités culturelles se fondent progressivement dans une uniformité américaine.
La Fast Fashion, fin de l’influence française ?
Le XXIème siècle est marqué par la mondialisation de la production et des styles vestimentaires. La géographie des territoires de la mode a donc évolué et les rapports de force se sont complexifiés. Face à la propagation de la culture américaine, la France et son naturel chic doivent composer avec de nouvelles habitudes de consommation, et une mode elle aussi de plus en plus mondialisée. Comme dans tous les domaines, des géants émergent en tirant les prix vers le bas, et proposant parfois plus de cinquante collections par an. Cette production en masse à l’américaine s’est exportée progressivement jusqu’en Europe.
Face à H&M (suédois), Zara (espagnol) ou Shein (chinois), les maisons plus traditionnelles perdent largement de leur vitesse de croisière. Pour Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode, « l’influence de la France demeure forte en matière de haute couture et de prêt-à-porter. En même temps, cette influence est en mutation, confrontée d’une part à une mondialisation de la mode et la domination de la mode commerciale de masse des grandes chaînes américaines ou espagnoles – et où les Français sont loin derrière ».
Rassurez-vous Monsieur Morand ! Là où la couture française était une prouesse presque artistique, la fast fashion n’est autre qu’un appareil de production qui ne fait que copier les grandes maisons. Ce sont pourtant elles qui donnent le ton. Face à ces enjeux, la France ne dispose peut-être pas des capacités industrielles américaines ou chinoises, mais de savoir-faire et d’un goût qui fait d’elle un phare dans le monde de la mode, et par le même biais un vecteur de soft power au service de sa puissance. Si elle ne peut raisonnablement pas espérer concurrencer les géants mondiaux dans le domaine de la fast fashion, elle peut s’affirmer différemment, en prônant un made in France plus qualitatif et éthique, et surtout plus raffiné. Le prêt-à-porter français doit refléter un art de vivre à la française, image qui a toujours attiré les regards sur notre pays.