Défi sportif, quête spirituelle, goût de la randonnée, besoin de tout plaquer ? Les randonnées sur fond de pèlerinage ont désormais la cote. Le succès des chemins de Compostelle en est un beau révélateur. Mais à ceux qui recherchent la tranquillité, il en existe de moins connus et de tout aussi beaux.
Amis lecteurs, laissez-moi vous donner un petit conseil pour les moments où le ciel de la vie s’assombrit. N’importe quoi, un concours raté, des revers de fortune, des déceptions cuisantes. Parfois, il ne faut pas lutter mais chercher un exutoire pour reprendre son souffle, trouver sa caverne dans laquelle le repos est possible et où le fait de pouvoir ne plus penser à rien est un luxe. Ce refuge, cette fuite momentanée (appelons-la plutôt “repli stratégique”), je la cherchais en vain depuis l’annonce de quelque résultat un tantinet décevant. Après une année passée dans le clair-obscur des bibliothèques parisiennes, mon être tout entier appelait à sortir de cette torpeur et de cet engourdissement provoqués par de trop longues stations assises. Le teint pâle, l’œil terne, l’esprit fatigué et la volonté chancelante, il fallait impérativement se secouer, partir loin des hommes et se donner une grande claque physique pour faire redémarrer la machine. Mais où ? Telle était alors la question en ces derniers jours de mai. La Providence (ou toute autre Force de l’Esprit pour les personnes attachées au respect des croyances de chacune et de chacun) me mit sur la route d’une personne qui me partagea son expérience d’un pèlerinage fort peu connu : le chemin d’Assise. De Vézelay à la ville du père des Franciscains, la diversité des paysages, le peu de fréquentation, la symbolique des lieux traversés, tout fut pour moi une révélation. Le récit de cette personne me décida très rapidement à partir, moi aussi, le sac au dos.
Pèlerin du dimanche
Bien décidé à tout plaquer pendant une semaine, je partis sur un coup de tête sans prévenir quiconque de mon périple, sans argent et presque sans nourriture en poche, seulement de l’eau et quelques boîtes de maquereaux. Je n’avais emporté que quelques objectifs : la paix à tout prix, le désir d’oublier l’année, l’espérance de mettre les compteurs à zéro, le secret et fol espoir de voir tourner la roue du sort. En effet, outre la solitude et le défi physique, j’espérais par cette démarche me mettre sous la protection du Ciel afin d’obtenir quelques faveurs que je pensais méritées. Vieille tentation humaine du marchandage avec Dieu. Note au lecteur et à moi-même : prenez-y garde, c’est rarement un bon calcul et souvent une source de profondes déceptions. Je parle d’expérience.
C’est donc par un beau matin de mai, le cerveau encore grisé des restes d’une soirée tardive, que je sautais dans un train pour Vézelay. La magnifique basilique s’apprêtait à être visitée par le marcheur le moins bien apprêté de toute l’histoire de la marche. Tout ce que j’avais pris était en trop et ce que je n’avais pas allait me faire cruellement défaut. Ainsi, je vous déconseillerais de prendre des livres que vous ne lirez pas sous peine de vous retrouver rapidement avec un sac de 18 kg ma foi fort peu commode dans les belles pentes du Morvan. À l’inverse, lorsque vous cheminez sous les premières fortes chaleurs du printemps alors que votre peau n’a pas vu le soleil depuis cinq mois, il est bon de prendre de la crème solaire. Et également des pansements pour les ampoules. Cela peut être utile en évitant quelques désagréments. Mais en même temps, cela ajoute un peu de piquant à l’aspect physique du périple. Pour ceux qui sont joueurs, je vous invite à m’imiter. Au moins vous le ferez par panache, et non par bêtise. C’est moins humiliant. Cela m’évoque ce jeune couple qui, un soir, m’avait charitablement offert le dîner à la fin duquel l’épouse s’était inquiétée de la rougeur de ma tête et de mes membres et m’avait proposé biafine et crème solaire. Son mari s’était gentiment moqué d’elle en lui faisant remarquer que je devais certainement être déjà équipé et que je n’étais pas assez idiot pour partir sans tout cela. Mi honteux, mi amusé, je n’avais pas osé le contredire…
Adieu le monde !
Malgré ces petits aléas matériels, l’objectif premier de cette longue marche qui était de vider l’esprit en violentant un peu le corps fut réussi. Après une courte mais satisfaisante halte dans la basilique de Vézelay, lieu du départ, magnifiquement dressée au milieu des coteaux et d’une blancheur immaculée, je partis l’âme légère pour affronter les premiers kilomètres. Je me rappelle de la joie profonde ressentie quand, après être arrivé au sommet d’une première colline, je vis au loin la basilique, dans un silence absolu. Un sentiment d’ivresse, une envie de crier, des résolutions en pagaille de quitter le monde et ceux qui le peuplent. Plus de préoccupations, plus de concours, plus de semblables, rien que Dieu, soi-même et ses rêves. Ce fut peut-être une des choses les plus agréables de ces longues marches solitaires : la rêverie sans limite et sans agressive distraction. Au risque de tomber dans la niaiserie, je dirai qu’outre le libre cours donné à l’imagination, c’est la beauté et la simplicité des rencontres qui furent les moments de plus grande qualité. En effet, ayant décidé de voyager sans argent, sans tente et sans nourriture ou presque, je devais bien pallier tous ces besoins en mendiant. Et bien sachez, amis lecteurs, que je ne sais pas comment seront les Italiens, mais les Bourguignons manifestèrent des trésors d’hospitalité. À l’exception du premier soir, j’eus chaque nuit un toit sur ma tête. Chaque repas me fut offert avec générosité par des personnes que la Providence avait mises sur ma route. Certains m’accueillirent comme un membre de leur famille. Comment ne pas être ému devant la générosité d’une dame qui m’offrit tout ce qu’elle avait, me quittant le lendemain les larmes aux yeux ? À la suite de ce périple, je n’ai peut-être pas vu se réaliser toutes les fausses espérances que je nourrissais, mais de Vézelay à Cluny, j’ai su retrouver une paix intérieure, découvrir et apprendre la simplicité et la spontanéité. Quelle fatigue pour le corps mais quel délassement de l’esprit ! La route est jalonnée de paysages apaisants, de monuments humbles ou majestueux mais toujours touchants. Pour celui qui n’a plus que le regard comme distraction, c’est un émerveillement enfantin de tous les instants. Une porte ouverte vers la contemplation et le songe. Alors, à mon tour, je veux être avec vous cette personne qui m’encouragea à emprunter ces pistes. Profitez-en tant que les chemins d’Assise ne sont pas très fréquentés. Avec un peu de chance, vous ne croiserez personne sur les sentiers. Quel régal pour celui qui veut un peu fuir la compagnie des hommes ! En tout cas, dès que l’occasion se présentera, je continuerai le chemin. J’ai encore quelques nuages à dissiper dans mon ciel. Et un jour j’arriverai à Assise. Avant toi.