En politique, l’amitié n’est jamais très fidèle. La France insoumise peut en témoigner, sa communication ambiguë à propos de la guerre Israël/Hamas lui fait perdre ses amis à gauche les uns après les autres. Et comme les ennemis de mes ennemis sont mes amis, le RN pourrait bien en profiter pour devenir respectable.
Dans une tribune publiée dans Le Figaro, Pierre-Henri Tavoillot s’interroge : « Contrairement à La France insoumise (LFI), le Rassemblement national (RN) a annoncé sa participation au rassemblement du 12 novembre contre l’antisémitisme, suscitant l’embarras des partis de « l’arc républicain », qui appelaient pourtant à l’unité nationale. D’où cette question : le RN est-il encore d’extrême droite ? » Et le philosophe, pourtant peu suspect de copinage avec le parti lepéniste, d’acter le remplacement du RN par LFI : « Pour ce qui est de l’extrémisme, c’est plutôt La France insoumise qui l’incarne aujourd’hui avec une légitimation explicite de la violence (appel aux émeutes) et une logique de plus en plus forte de purges internes (intolérance) ».
Mais alors, peut-on encore parler à La France insoumise ? C’est la question que tout le monde se pose depuis que Jean-Luc Mélenchon a refusé de qualifier le Hamas de “ terroriste ”. Et si certains ont pu croire au début à une simple faute de communication, ils ont vite été contredits par les déclarations qui ont suivi dans les semaines d’après, relativisant l’agression du Hamas avec la réaction israélienne. Il faut dire que cette hésitation entre condamnation de crimes de guerre et défense de la cause palestinienne répond à une nécessité électoraliste pour ce parti. Les musulmans en France votent massivement à gauche (69% pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle 2022 selon l’IFOP), et sont un vivier d’électeurs important pour plusieurs députés insoumis. Mais cette fois-ci, tout semble indiquer qu’ils ont dépassé les bornes, ne voyant dans le Hamas que le représentant de la cause palestinienne, là où il y a un groupe terroriste dont le but affiché est de détruire l’état d’Israël. Une faute peut-être plus morale que politique pour Jean-Luc Mélenchon et ses troupes, qui entache lourdement et durablement l’image du parti. Et pousse surtout ses alliés de la NUPES à rejeter leur ancien ami.
L’arroseur arrosé
C’est là que s’opère le premier renversement : après avoir invoqué pendant des années le passé du RN et ses origines racistes et antisémites, voilà que La France Insoumise devra très probablement, dans les années à venir, s’expliquer systématiquement sur cette position suspecte qu’elle a tenu vis-à-vis des islamistes du Hamas. À l’inverse, le Rassemblement national, lui, n’a pas hésité à condamner l’attaque du Hamas et l’idéologie qui en est à l’origine. Le boulet que traînait le RN est désormais attaché aux pieds de Jean-Luc Mélenchon. Le RN n’a pas hésité non plus à annoncer sa participation à la marche pour la République et contre l’antisémitisme organisée par Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet (présidents respectivement du Sénat et de l’Assemblée nationale), alors que LFI a refusé d’y participer, expliquant ne pas vouloir défiler aux côtés d’un parti « qui trouve ses origines dans l’histoire de la collaboration avec le nazisme ». En d’autres termes, LFI refuse de marcher contre l’antisémitisme au nom du prétendu antisémitisme d’un parti qui va lui-même marcher contre l’antisémitisme…
En réalité, les raisons de l’absence des Insoumis sont cachées par cet argument de façade. Le parti d’extrême-gauche se réfugie derrière un appel au cessez-le-feu pour dénoncer injustement la riposte d’Israël, et semble oublier que l’agression initiale est celle du Hamas. Il y a dans ce choix une incohérence dialectique : on ne peut pas donner des leçons de droit international à l’agressé sans condamner clairement et en premier lieu l’agresseur. Et cette contradiction appartiendra désormais aux “ heures les plus sombres ” de l’histoire du parti, selon la formule consacrée.
LFI, ennemi public n°1
“ Arc républicain ”, “ front républicain ”, “ cordon sanitaire ”, “ extrême droite ” : autant d’expressions qui ont permis pendant longtemps d’excommunier le FN puis le RN du champ de l’acceptable. La “ Fenêtre d’Overton ”, théorisée dans les années 1990 par le politiste américain éponyme, désigne cet espace contenant les opinions dicibles au sein d’une société, et qui a la particularité de pouvoir se déplacer avec le temps. Aujourd’hui, c’est Jean-Luc Mélenchon et les siens qui se voient exclure de la fenêtre : alors qu’ils devaient leur survie à leur appartenance à la Nupes, les membres de l’alliance de gauche prennent leur distance avec La France insoumise, et c’est peut-être le plus grand révélateur du bouleversement en cours. « On considère que nous ne sommes pas dans une situation de nature à faire repartir la Nupes dans de bonnes conditions » a déclaré le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure, qui « ne veut pas être comptable de ce que dit Jean-Luc Mélenchon ». Même son de cloche chez Les Écologistes et au Parti communiste français (PCF), où l’on se désolidarise des propos de l’insoumis en chef, accusé de mener l’intergroupe « dans une impasse ». Car si les amitiés politiques sont toujours intéressées, elles impliquent une responsabilité réelle, que les membres de la Nupes ne veulent plus assumer.
Et on ne peut pas dire que l’ancien candidat à la présidentielle s’accroche à ce lien pourtant vital avec ses alliés : il a parlé d’un « point de non-retour » franchi dans l’existence de la coalition qu’il avait lui-même créée. « Les bases LFI savent donc qu’elles doivent se passer des députés qu’elles ont élues il y a un an. La menace de dissolution se précisant avec l’approfondissement de la crise politique, je recommande que le terrain soit occupé dès à présent sans pause autour de nos porte-paroles locaux » a-t-il ajouté, enterrant ainsi la Nupes et s’éloignant du champ républicain.
En pleine stratégie de normalisation depuis ses succès électoraux de 2022, le Rassemblement national entend bien bénéficier de l’ostracisation de LFI pour rentrer dans cette fenêtre et devenir plus respectable. « Nous sommes là où nous devons être », a déclaré Marine Le Pen pendant la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre, façon pour elle de réaffirmer la légitimité de son parti dans les combats républicains traditionnels. Idem pour le porte-parole du RN Sébastien Chenu, qui n’a pas manqué de se comparer à LFI : « L’important dans ce genre de manifestation c’est de voir qui est venu et qui n’est pas venu, parce que si on ne se lève pas pour marcher contre l’antisémitisme, on se lève pour quoi ? ». Le parti de Jordan Bardella le sait bien : avoir un ennemi commun, c’est déjà un pas vers la réconciliation. Pour le RN, c’est ainsi l’occasion rêvée de redevenir politiquement correct en détournant la diabolisation de l’opinion publique sur Jean-Luc Mélenchon. « La République, c’est moi ! » qu’il disait. Plus pour longtemps.
Vianney Groussin