Après la Seconde Guerre, l’univers devient le nouveau champ de bataille des puissances soviétiques et capitalistes. Loin de partir d’une feuille blanche, les différents programmes spatiaux qui sont organisés reposent en réalité sur le travail de personnalités scientifiques dont les différents États auraient préféré taire l’origine germanique. À travers ses ingénieurs, l’Allemagne nazie s’offrait une conquête spatiale par procuration.
À la fin du XIXème et au début du XXème siècle, les débuts de l’aviation offrent à l’homme de nouvelles perspectives : les règles physiques de la gravité sont contournées grâce à la technique, l’espace devient le champ de tous les possibles. L’univers, les étoiles et la lune que l’humanité avait regardés pendant des milliers d’années comme des objets fascinants et inaccessibles sont désormais de nouvelles terres de conquête pour les Christophe Colomb du XXème siècle. Cependant, malgré les rapides progrès de l’aviation, les ingénieurs ne parviennent pas à trouver une solution technologique pour franchir la barrière de l’atmosphère terrestre. Cette contrainte matérielle est dépassée dans le cadre de la course frénétique où s’engagent les États-Unis et l’URSS au sortir de la Seconde Guerre mondiale. En vingt ans, les deux superpuissances font de l’univers le nouveau théâtre du monde, une vaste scène où ils affichent leur savoir-faire technologique et industriel.
En 1957, la Russie met en orbite Spoutnik 1, le premier satellite d’origine humaine. La même année, elle envoie également une petite chienne, Laïka, qui devient le premier être vivant à aller dans l’espace. L’année suivante, humiliés par le succès soviétique, les Américains rattrapent leur retard par la création d’une agence spatiale, la NASA, et l’envoi d’un satellite. En 1961, encore en tête, la Russie envoie le premier homme dans l’espace : Youri Gagarine. Durant les années 60, une véritable émulation s’installe entre les deux superpuissances et permet la réalisation de prouesses technologiques. Le monde se fascine pour la conquête de ces nouveaux espaces, ces eldorados du XXème siècle. Même des pays comme la France et le Royaume-Uni entrent à leur tour dans l’aventure de la conquête spatiale. Mais ce sont finalement les Américains qui obtiennent une victoire symbolique décisive : le 21 juillet 1969, dans le cadre de la mission Apollo 11, Niels Armstrong et Buzz Aldrin foulent la lune du pied. Cet événement a un retentissement mondial et anticipe l’avance technologique que les Américains prennent à la fin de la guerre froide. Seule ombre au tableau d’une épopée grandiose : les succès des uns et des autres ont été dus, du moins dans un premier temps, à un pacte passé avec le diable.
Les fusées : une affaire allemande
Après le traité de Versailles de 1919, il était prévu que l’Allemagne soit limitée militairement et notamment dans ses forces aériennes. C’est pour contourner ce problème qu’à partir de 1929, les états-majors militaires de la République de Weimar décident de soutenir et financer les travaux d’une association, la Verein für Raumschiffahrt (Société pour le voyage spatial) qui regroupe les ingénieurs allemands les plus compétents de leur temps. Des premiers prototypes de fusée sont étudiés par cette association au début des années 1930 jusqu’à ce que le parti nazi accède au pouvoir en 1933. Afin d’éviter toute diffusion de ces travaux expérimentaux et afin de mieux contrôler la recherche spatiale, les cadres du NSDAP décident de dissoudre l’association. Pour autant, les moyens alloués à la recherche sont considérablement renforcés et un nouveau terrain d’essai est mis à disposition des ingénieurs : le centre de Peenemünde, sur les côtes de la Poméranie occidentale. Ce ne sont pas moins de 2 000 scientifiques et 4 000 techniciens qui se retrouvent à travailler sur des fusées. La fusée de type A4, notamment, plus connue sous le nom de V2, connaît un succès retentissant et devient un outil de propagande du IIIème Reich qui mythifie « les armes secrètes » capables de donner la suprématie aux armées allemandes. Après une série d’échecs au début de la Seconde Guerre, un test se montre concluant le 3 octobre 1942. La production en série peut alors commencer même si son utilisation opérationnelle réelle ne commencera qu’en 1944. Le 20 juin de cette même année, un V2 allemand franchit la ligne de Kármán, autrement dit la limite entre l’atmosphère terrestre et l’espace : les portes de l’univers sont ouvertes par les génies du mal.
SS et ingénieurs allemands : une discrète contribution
Alors que la fin de la guerre approche, tous les belligérants comprennent l’avance considérable des ingénieurs du Reich dans l’astronautique. Ces derniers sont également conscients de leur valeur et du parti qu’ils peuvent en tirer au moment où les armées allemandes refluent sur tous les fronts. Un des plus célèbres d’entre eux, le père des V2, le SS-Sturmbannführer Wernher von Braun, est plusieurs fois inquiété par la Gestapo pour son défaitisme et ses sympathies pour les Américains. Le 2 mai 1945, il se livre aux Américains avec pas moins d’une centaine d’ingénieurs et de techniciens. Cette équipe est absorbée par l’opération américaine Paperclip qui vise à récupérer le plus grand nombre d’ingénieurs allemands, toute spécialité confondue, pour les mettre au service de la puissance américaine. Ainsi, Wernher von Braun est nommé dès 1958, directeur du centre de vol spatial Marshall de la NASA et est à l’origine directe du succès du lancement du premier satellite américain. Un de ses anciens collaborateurs, Kurt Debus, se voit, quant à lui, confié le centre spatial Kennedy et diriger les 13 missions Apollo, jusqu’en 1972. Tous ces Allemands sont à l’origine des succès initiaux des Américains dans la conquête spatiale. Cependant les autres pays ne sont pas en reste. Les Soviétiques les premiers saisissent, en 1945, pas moins de 200 scientifiques allemands du centre de Peenemünde et les envoient en Russie afin qu’ils participent à leur programme spatial. En France, dans le Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques de Vernon créé en 1946, c’est également une soixantaine d’Allemands qui sont employés par le gouvernement français. Ils seront à l’origine des moteurs des fusées Ariane et de l’épopée spatiale française, sous le général De Gaulle, avec le lancement du premier satellite français au moyen de la fusée Diamant en 1965. La France avait en effet eu son opération Paperclip à elle. Lorsque la Première Armée française avait pénétré en Allemagne en 1945, une certaine section T avait eu pour mission de repérer et récupérer toutes les têtes pensantes du IIIème Reich qu’elle rencontrerait, ce qui fut conduit avec succès.
Tous ces pays restèrent discrets quant à l’origine parfois sulfureuse de ces ingénieurs qui contribuèrent pourtant à leur réputation en leur offrant l’accès à l’univers. Dans un ciel constellé d’étoiles, dans un espace devenu un champ de rivalités et de gloire, l’ombre des éminences grises du parti nazi plane à jamais, comme un héritage un peu encombrant.