À l’arrière d’une moto pour suivre les cyclistes du Tour de France, sur les gradins des championnats internationaux ou attablé dans un bistrot de la Rive gauche, Antoine Blondin fut le héraut de la compétition, du dépassement de soi et du lien entre les hommes.
Antoine Blondin (1922-1991) est de ceux auxquels on s’attache instantanément. Il n’est que de faire quelques recherches dans les archives de l’INA pour y voir ressusciter son air bonhomme, doucement mélancolique et toujours jovial. Blondin a le verbe un peu traînant à la Houellebecq et direct à la Céline, l’accent de l’après-guerre et le regard profond.
Un poète dans "L’Équipe"
Grand ami de Roger Nimier, Blondin s’est illustré par ses romans, comme Un singe en hiver adapté à l’écran par Henri Verneuil en 1962, mais aussi par ses chroniques sportives parues dans le journal L’Équipe : entre 1954 à 1958, il y tenait chaque mardi sa rubrique intitulée La Semaine buissonnière. Aujourd’hui, si un petit square parisien près de la Porte de Bagnolet porte son nom, l’écrivain et chroniqueur sportif reste assez méconnu du grand public en dépit des deux récentes expositions qui lui ont été consacrées : l’une en 2021 à la mairie du VIème arrondissement, “Le muscle et la plume”, pour le trentième anniversaire de sa mort, et l’autre en 2022, “Plume vagabonde”, à Lyons-la-Forêt (Eure) pour le centenaire de sa naissance. Or, et c’est Pierre Assouline qui le dit dans un article publié le 12 avril 2016 sur La République des livres, “on n’a jamais eu autant besoin des livres d’Antoine Blondin ; sa présence légère nous dédommage des pesanteurs de l’air du temps et de l’actualité”.
Champions et supporteurs
La grande passion d’Antoine Blondin et ce pour quoi il restera célèbre, c’est bien le Tour de France. Le Tour en effet, c’est peut-être la France dans ce qu’elle a de plus charnel. Sa popularité d’ailleurs persiste largement, puisqu’il est encore aujourd’hui l’un des événements sportifs les plus suivis à l’échelle mondiale. “Dans son recueil Sur le Tour de France”, analyse Jean-Pierre Castelani, “Blondin explique longuement les raisons de son intérêt pour le Tour : […] son goût du vagabondage, de cet espace de la France buissonnière, cette plongée dans une France rurale, populaire, cette fête champêtre avec la caravane, le folklore des arrivées, ce rendez-vous familial et cosmopolite”. Cette atmosphère chaleureuse et étrange est celle qu’il souligne dans sa toute première chronique où les mots de “famille” et de “rituel” illustrent bien ce qu’est l’événement du Tour de France. Ce lien entre les hommes, Blondin l’exalte jusque dans la rivalité des coureurs qui est essentielle. A propos du duel légendaire d’Anquetil et de Poulidor, qui oppose les supporteurs des deux champions, Blondin conclut : “Il faut que les gens sachent que le moment est venu où l’on peut être pour l’un sans être contre l’autre, car ils sont désormais complémentaires dans le cadre de ce Tour de France inoubliable et se font mutuellement valoir” (14 juillet 1954).
Nombreux sont les critiques et biographes de Blondin à souligner le souffle épique que le journaliste insuffle dans ses chroniques. Il prouve par là, s’il en était besoin, que le sport aussi est une matière pour la littérature. Son évocation du coureur Raymond Poulidor, notamment, illustre la capacité où est Blondin à livrer le fruit de son observation avec justesse et poésie : “J’observais hier, à différentes phases de l’étape, le visage familier de Raymond Poulidor. Il est grave et beau, buriné par ce qu’on a pris longtemps pour une sorte de difficulté à réfléchir et qui n’est sans doute qu’une formidable capacité de s’abstraire du contexte et de l’entourage. […] Il n’y a ni sang-froid, ni humour dans les postures d’absence auxquelles on le voit si souvent s’abandonner mais plutôt une résignation absorbée en elle-même et la rumination d’un songe à jamais inachevé” (21 juillet 1967).
Mais outre la familiarité des coureurs, son rôle de commentateur et donc de suiveur du peloton lui assure également un point de vue privilégié sur les spectateurs, sur cette foule rassemblée le long des routes de France dans l’attente du passage des cyclistes, lancés à toute allure et qu’on distingue à peine. Il évoque en ces termes l’émotion produite par le passage du champion très populaire, Raymond Poulidor : “Et le plus fort est qu’aucun de ceux qui n’ont pu réussir à l’apercevoir n’ont eu un mouvement d’humeur, la réaction du dépit amoureux. Pour eux, la preuve de l’existence de Poulidor et sa majesté tiendront, comme celle de Dieu, dans le fait qu’on ne sait pas où il se trouve et qu’on ne le voit pas, mais qu’il est nécessaire à l’explication du système” (21 juillet 1967). Atmosphère de famille et rituel sacré, donc, que cet événement sportif, cette fête populaire et syncrétique qui rassemble ces millions de Français dans l’attente du passage fugace d’un peloton serré.
Sortir de soi-même
L’amour du sport d’Antoine Blondin est aussi à comprendre au regard de son esprit de “hussard”, de son désenchantement intime, celui qui lui valut le qualificatif d’antimoderne, voire de réactionnaire. C’est cet idéalisme qui lui fait dire : “Le rugby est essentiellement traditionnel, chevaleresque et généreux. Il était normal qu’il répondît aux aspirations des populations où les folklores sont demeurés particulièrement vivaces, où les tempéraments inclinent volontiers au lyrisme et où l’exubérance ouvre la porte à la prodigalité. […] Il faut certainement à ce sport des vertus intimes […] pour provoquer chez l’homme ces phénomènes inhabituels de solidarité extérieure, d’oubli de soi-même, d’identification, de participation enfin, au sens mystique du terme.” “Oubli de soi”, “climat d’extase”, “prodigalité”, “engouement national” : c’est toujours, sous la plume de Blondin, ce même mélange de sacralité et de générosité qui est merveilleusement contenu dans le mot “engouement”. Lui dont on raillait facilement le goût pour la boisson, il semble qu’il trouve dans le sport et dans le vin la même satisfaction d’une soif plus profonde : celle, mélancolique, de lien avec les hommes. Chez Blondin, c’est une quête de l’ivresse qui ressemble à l’enthousiasme, qui fait sortir de soi-même pour pouvoir faire corps avec les autres.