INTERVIEW – Après ses débuts à la radio en 1986, sur RFI, Yves Calvi acquiert sa renommée sur les grandes chaînes françaises : Europe 1, France Info, France Inter, puis RTL où il présente la matinale depuis 2014. Il est également présentateur à la télévision et anime aujourd’hui une émission sur BFMTV. Fort de sa riche expérience médiatique, il nous livre son analyse des principaux défis de l’information.
LA FUGUE : Vous avez l’expérience de deux médias d’information, télévision et radio, quelles sont leurs particularités ?
Y. Calvi : Le journalisme de radio et de télévision est le même métier mais il n’a pas le même effet sur les individus. Du fait de la force des images, la télévision fonctionne beaucoup par l’impact et crée davantage de débat. Cette puissance des images peut aussi diminuer la capacité d’analyse et de réflexion. La radio, elle, parle à d’autres sens : j’ai des retours souvent plus subtils de mes émissions radio. Aussi, elle peut être écoutée facilement tout au long de son quotidien et cela crée une sorte d’intimité entre le journaliste et son auditeur. Ce sont donc deux langages différents et il faut reconnaître les forces et les faiblesses de chacun des deux.
Qu’est-ce qu’être journaliste ?
Être journaliste, c’est opérer le traitement de l’information à travers trois éléments : les reportages, l’éclairage de l’actualité, et le débat. Le reportage, ce sont des journalistes qui vont sur le terrain pour rendre compte d’une situation qu’ils ont vu au moyen des images, du son et des idées. L’éclairage de l’actualité, c’est la réalisation d’émissions permettant d’analyser une situation et de la comprendre. Le débat, enfin, se situe sur des sujets politiques ou autour de l’actualité du moment. Ces trois éléments sont consubstantiels au journalisme et à l’information. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux ou au sein de certains groupes de presse comme CNews, seul le débat est privilégié : quand il n’y a que le débat, on se retrouve avec une caricature de l’information car c’est une fausse façon de rendre compte de l’actualité.
Une méfiance envers les journalistes a pu se développer…
Il n’est pas de démocratie sans la présence d’une presse libre. Et la capacité des journalistes de se faire entendre et de se faire respecter comme tels est de plus en plus remise en cause. Est-ce parce que nous faisons mal notre travail ou est-ce parce que les individus ont envie de se connecter aux réseaux sociaux pour entendre ce qu’ils ont envie d’entendre ? Le résultat demeure que la confiance accordée aux journalistes est dévaluée.
L’information est-elle en danger aujourd’hui ?
Aujourd’hui, une partie de ce qui est perçue comme de l’information a été détournée par des émissions qui prétendent faire de l’information mais qui n’en font pas. Il y a un débat autour d’un présentateur talentueux mais qui n’est pas journaliste et ne fait pas de l’information : Cyril Hanouna. De grands journalistes collaborent avec lui et des responsables politiques qui ne seraient jamais allés dans des émissions de ce type se sont retrouvés contraints d’y aller pour son succès d’audience. Puisqu’il n’est pas journaliste, Cyril Hanouna n’est pas engagé par une carte de presse. Or celle-ci assigne des droits et des devoirs, elle est marquée du drapeau français et elle est renouvelée chaque année. Elle engage la crédibilité du journaliste. La place qu’occupe Cyril Hanouna dans le paysage audiovisuel français ou la ligne éditoriale qu’a développée CNews ces dernières années échappent à cette crédibilité lorsqu’ils ne font que du débat. Quand il n’y a que le débat, le traitement de l’information disparaît.
Quels sont les enjeux du traitement de l’information politique ?
Dans une démocratie, l’information est libre mais peut avoir des contraintes financières ou politiques. Les enjeux de pouvoir dans le service public sont plus de nature politique alors que dans les services privés ils sont plutôt d’ordre financier. Les forces qui peuvent contraindre ou orienter existent dans les deux dimensions : le service public n’est pas plus “pur” que les médias du privé et c’est aux journalistes et directeurs de médias de s’en débrouiller. Cela n’empêche pas le traitement de l’information : il suffit de le savoir et de le comprendre. C’est aussi ce qui fait une démocratie.
La presse précède-t-elle ou suit-elle l’opinion ?
C’est un peu rapide. La presse a pour but d’informer. Elle vit avec des contraintes, financières ou politiques, et elle doit parvenir à intéresser un public. Et cela n’est pas forcément lui apporter ce qu’il attend. La question d’intéresser un public est saine et c’est la manière d’y répondre qui fait l’intégrité de l’information qui en suivra. L’opinion française est sociologiquement de plus en plus sensible aux idées classifiées de droite, en revanche, la sociologie des journalistes semble plutôt pencher à gauche. Il est intéressant de voir que des groupes de presse se développent en réaction à cela. Il y a donc un rapport de force entre la population journaliste de gauche et les actionnaires médiatiques plutôt de droite. Il ne faut pas s’en inquiéter, cela ne traduit rien d’autre qu’une presse libre.
Qu’en est-il du journalisme d’opinion ?
Le journalisme d’opinion a toujours existé. En France, nous avons par exemple le journal L’Humanité : ses rédacteurs en chef ont longtemps été des membres notoires du parti communiste. Mais il y coexistait de l’information et un point de vue idéologique sur le monde. La presse d’opinion est respectable mais il ne faut pas oublier qu’elle ne reflète qu’une opinion. Cela n’empêche pas les journalistes d’être issu d’une pensée dominante mais, dans une démocratie, la pensée dominante peut évoluer et changer de couleur politique. La pensée dominante démocratique est celle qui peut être remise en cause à tout moment par l’échange d’idées.
Balzac dès le 19ème siècle donnait la presse comme un 4e pouvoir, qu’en est-il en 2022 ?
En effet, la définition du quatrième pouvoir date mais elle est toujours vraie. La presse est un pouvoir essentiel, elle peut former une opinion et déplacer des votes. Elle doit donc se considérer comme quatrième pouvoir et s’en donner les contraintes : c’est-à-dire, travailler honnêtement et amener de bonne foi des informations aux gens qui nous lisent, écoutent et regardent.
Quel défi les réseaux sociaux comme support d’opinion représentent-ils à l’égard des médias traditionnels ?
Les réseaux sociaux ne sont pas des supports d’information mais des supports d’opinion. L’enjeu est donc le suivant : comment convaincre des gens qui ne nous font plus confiance et qui sont devenus une secte ? Je parle de secte parce qu’ils sont les mêmes à se dire les mêmes choses, au même moment, dans un même endroit qu’ils ont choisi. C’est le principe même de la désinformation. Bien sûr, il peut être bon de penser entre personnes de même opinion, mais cela tient tant qu’on ne l’applique pas à la démocratie. Les réseaux sociaux sont une réalité qu’on ne peut pas négliger aujourd’hui si on est sincèrement démocrate, mais on doit les contester si on est sincèrement concerné par l’information. En cherchant sans cesse la contradiction, mon métier de journaliste me pousse sans cesse à aller à l’opposé de ce que j’observe sur les réseaux sociaux. Pour ma part je n’y vais pas et je demande à mes collaborateurs de me rapporter si quelque chose d’important s’y passe. Je n’ai pas envie d’y donner mon opinion et je trouve dangereux qu’autant de journalistes y donnent la leur. Je considère même qu’ils ne sont plus journalistes quand ils le font en permanence.
Comment rendre compte de ce fait de société ?
Pour ma part j’en rends compte du moins possible : j’aurais du mal à rendre compte de quelque chose qui veut ma mort. Le réseau social dans la forme qu’il a prise est un défi permanent pour le travail de journalisme. Il va y avoir un affrontement de plus en plus important entre les réseaux sociaux et les journalistes. Il y a un enjeu qui consiste à faire sortir les individus de cet entre-soi que représente les réseaux sociaux. Cette lutte a commencé et ce sera à votre génération de la mener.
Propos recueillis par Anne Hédé-Haüy et Alban Smith